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DU RÊVE.


ne sont faites que pour celui qui veille, qui ne veut pas rêver ou dormir sans penser. La sentence du roi grec condamnant à perdre la vie un homme qui avait raconté à ses amis un rêve dans lequel il avait assassiné le roi, sous prétexte qu’ « il n’y aurait pas rêvé s’il n’y avait pas pensé éveillé, » est cruelle et contraire à l’expérience. « Dans l’état de veille, nous avons un monde commun ; dans le sommeil chacun a son monde propre. » — Le rêve semble tellement faire partie du sommeil que dormir et être mort seraient une même chose si le rêve n’était pas comme une agitation naturelle, quoique involontaire, des organes internes de la vie, excitée par l’imagination. Je me souviens très bien qu’étant enfant, si je me mettais au lit, fatigué par le jeu, au moment où je m’endormais j’étais réveillé par un rêve dans lequel il me semblait que j’étais tombé dans l’eau, et que j’étais sur le point d’être submergé ; entraîné par un tournant. Mais bientôt je reprenais un sommeil plus calme. Sans doute qu’il y avait alors un relâchement dans l’activité des muscles respiratoires de la poitrine ; et comme la respiration dépend de la volonté, le mouvement du cœur peut être empêché par la suspension de l’acte respiratoire ; ce qui doit mettre l’imagination en jeu pour produire le rêve. — De là aussi l’action bienfaisante du rêve dans le cauchemar (incubus). En effet, sans cette image terrible d’un spectre et sans cette contention de tous les muscles pour se placer dans une autre position, la stagnation du sang ne tarderait pas à déterminer la mort. La nature semble donc avoir arrangé les choses