sité et les tentations du mal sans se laisser vaincre, c’en est un
souverainement indigne, je ne dirai pas de la divinité, mais
même de l’homme le plus ordinaire, pourvu qu’il pense bien, de voir l’espèce humaine faire de période en période des progrès vers la vertu et bientot après retomber aussi avant dans
le vice et la misère. Il peut être émouvant et instructif de regarder un temps cette tragédie ; mais il faut que le rideau tombe à la fin. Car à la longue la pièce dégénère en bouffonnerie ; et, quoique les acteurs ne s’en lassent pas, parce qu’ils
sont fous, il n’en est pas de même du spectateur, qui a assez
de tel ou tel acte, quand il a quelque sujet d’admettre que la
pièce, ne devant jamais avoir de dénoûment, est éternellement
la même. La punition qui arrive au dénoüment peut bien,
quand il s’agit d’un simple spectacle, corriger les sensations
pénibles produites par le cours de la pièce. Mais que des vices
sans nombre (même entremêlés de vertus) s’amoncèlent dans
la réalité, pour qu’il y ait dans la suite un châtiment plus considérable, c’est ce qui, du moins d’après nos idées, est contraire
à la moralité même d’un sage auteur et maître du monde ;
J’admettrai donc que, comme l’espèce humaine est continuellement en progrès quant à la culture, qui est la fin naturelle de l’humanité, elle doit être aussi en progrès vers le bien quant à la fin morale de son existence, et que, si ce progrès peut être parfois interrompu 1[1], il ne peut jamais être entièrement arrêté 2[2]. Je n’ai pas besoin de prouver cette supposition ; c’est à l’adversaire à faire la preuve. Je m’appuie, en effet, sur un devoir inné en moi, comme en chaque membre de la série des générations, — à laquelle j’appartiens (comme homme en général), sans être, sous le rapport des qualités morales exigées de moi, aussi bon que je le devrais et par conséquent que je le pourrais, — sur le devoir de travailler à rendre la postérité meilleure (ce dont il faut par conséquent aussi admettre la possibilité), de telle sorte que ce devoir puisse se transmettre régulièrement d’un membre de chaque génération au l’autre. Que l’on tire de l’histoire autant de doutes que l’on voudra contre mes espérances : si ces raisons étaient concluantes, elles pourraient me déterminer à renoncer à des