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n’en a pas moins des droits inaliénables sur le souverain, quoique ces droits ne puissent être des droits de contrainte. Hobbes est de l’opinion contraire. Suivant lui (De cive, cap. 1 , § 14), le chef de l’État n’est obligé à rien envers le peuple par contrat, et il ne peut commettre d’injnstice envers les citoyens (quoi qu’il décide à leur égard). -- Cette proposition serait tout à fait exacte, si par injustice on entendait une lésion qui donnât à l’offensé un droit de contrainte’' contre celui qui commet une injustice à son égard; mais, prise ainsi en général, c’est une horrible proposition.

Le sujet qui n’est pas indocile doit pouvoir admettre que son souverain ne veut pas lui faire d’injustice. Par conséquent, comme tout homme a aussi ses droits imprescriptibles qu’il ne peut jamais abdiquer, quand même il le voudrait, et dont il a lui-même le droit de juger, mais que ce qu’il regarde comme une injustice qui lui est faite ne peut provenir, dans cette supposition, que d’une ignorance du souverain pouvoir sur certains effets des lois, il faut accorder au citoyen, et cela avec l’autorisation du souverain lui-même, la faculté de faire connaitre publiquement ce qui, dans les décrets de ce pouvoir, lui semble etre une injustice envers l’État. Car admettre que le souverain ne puisse pas même se tromper ou ignorer quelque chose, c’est en faire un être inspiré d’en haut et supérieur à l’humanité. La liberté d‘écrire[1] —- retenue dans les limites du respect et de l’amour pour la constitution sous laquelle on vit par les sentiments libéraux que cette constitution même inspire aux sujets (en telle sorte que les plumes se bornent réciproquement d’elles-mêmes, afin de ne pas perdre cette liberté), — voilà donc l’unique palladium des droits du peuple. Vouloir lui refuser même cette liberté, ce n’est pas seulement lui enlever tout droit relativement au souverain (comme le veut Hobbes), mais c’est enlever à ce dernier, dont la volonté, par cela seul qu’elle représente la volonté générale du peuple, donne des ordres aux sujets comme à des citoyens, toute connaissance de ce qu’il corrigerait lui-même, s’il était instruit, et c’est ainsi le mettre en contradiction avec lui-même. Mais inspirer au souverain la crainte que la liberté de dire hautement

  1. Die Freiheit der Feder.