nêteté ; ou, s’ils ne le font pas, j’acquerraî par là une bonne réputation, qui pourra m’être très-utile. Mais tout cela est très-incertain. D’un autre côté, se dira-t-il aussi, si je détourne le dépot qui m’a été confié pour me tirer tout d’un coup d’embarras, en faisant ainsi immédiatement usage de ce dépôt, j’attirerai les soupçons sur les moyens dont je me suis servi pour améliorer ainsi subitement ma position ; si au contraire j’en use lentement, ma misère pourra bien dans l’intervalle s’accroître au point de devenir irrémédiable. » — Quand donc on prend le bonheur pour maxime, la volonté, balancée par ses mobiles, hésite sur ce qu’elle doit résoudre, car elle regarde au résultat, et celui-ci est fort incertain ; il faut une bonne tête pour sortir de l’embarras des raisons pour et contre et ne pas se tromper dans ses calculs. Si elle se demande au contraire ce qu’exige ici le devoir, elle n’est pas du tout embarrassée pour se répondre à elle-même, mais elle est immédiatement sûre de ce qu’elle a à faire. Même, lorsque le concept du devoir a quelque prix à ses yeux, elle sent de la répugnance à se livrer à l’évaluation des avantages qui pourraient résulter pour elle dela transgression du devoir, comme elle le pourrait faire si elle avait encore ici le choix.
Dire, avec M. Garve, que ces distinctions (qui ne sont pas, comme on l’a montré, aussi subtiles qu’il le pense, mais qui sont écrites dans l’âme humaine en très-gros et très-lisibles caractères) s’évanouissent absolument quand on en vient à l’action, c’est dire une chose contraire à l’expérience même. Je ne parle pas de cette expérience que nous offre l’histoire des maximes dérivées de tel ou tel principe, car celle-là prouve malheureusement que la plupart découlent du principe de l’intérêt, mais de cette expérience purement intérieure qui nous apprend qu’aucune idée n’élève davantage l’âme de l’homme et ne lui inspire plus d’enthousiasme que celle d’une intention purement morale, honorant le devoir par-dessus tout, luttant contre les maux innombrables et même contre les charmes et les séductions de la vie, et demeurant victorieuse (comme elle en a le pouvoir, ainsi qu’on a le droit de le penser). La conscience qu’a l’homme de pouvoir agir ainsi, puisqu’il le doit, lui révèle, dans les profondeurs de son être, un caractère divin qui lui inspire comme une sainte terreur pour la grandeur et la sublimité de sa véritable destination ; et, si l’homme songeait plus souvent et s’ac-