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que l’homme peut voir en lui-même en s’examinant scrupuleusement, il est capable non-seulement de n’avoir conscience d’aucun motif concourant à sa détermination, mais même d’avoir conscience de son abnégation à l’endroit de plusieurs qui sont contraires à l’idée du devoir, et par conséquent de la maxime qu’il s’est faite de tendre à cette pureté. Voilà ce qu’il peut, et cela même suffit pour l’observation de son devoir. Au contraire, se faire une maxime d’encourager l’influence de semblables motifs, sous prétexte que la nature humaine ne comporte pas une pareille pureté (ce qu’on ne saurait d’ailleurs affirmer avec certitude), c’est la mort de toute moralité.

Quant à l’aveu, que fait auparavant M. Garve, de ne point trouver cette division (proprement cette séparation) dans son cœur, je ne me fais aucun scrupule de repousser la condamnation qu’il porte contre lui-même et de défendre son cœur contre sa tête. Un si honnête homme l’a certainement toujours trouvée dans son cœur (dans les déterminations de sa volonté) ; seulement elle ne pouvait s’accorder dans sa tête, au profit de la théorie et pour l’explication de ce qui est inexplicable (incompréhensible), c’est-à-dire de la possibilité d’impératifs catégoriques (tels que ceux du devoir), avec les principes ordinaires des explications psychologiques (qui toutes prennent pour fondement le mécanisme de la nécessité naturelle)[1].

Mais je dois m’empresser de contredire hautement M. Garve, lorqu’il dit à la fin : De subtiles différences d’idées comme celles-ci s’obscurcissent déjà, quand on réfléchit à des objets particuliers ; mais elles s’effacent entièrement, quand il s’agit de l’action, quand il faut les appliquer à des désirs et à des in-

  1. M. P. Garve fait (dans ses remarques sur le livre des Devoirs de Cicéron p. 60, édit. de 1783) cet aveu remarquable et digne de sa pénétration : « que, dans sa conviction la plus intime, la liberté restera toujours insoluble et qu’elle ne pourra jamais être expliquée. » Il est absolument impossible de trouver une preuve de sa réalité dans l’expérience immédiate ou médiate, et en l’absence de toute preuve on ne saurait l’admettre. Or, comme on ne peut la prouver par des raisons purement théorétiques (car il faudrait les chercher dans l’expérience), mais par des propositions rationnelles purement pratiques, non pas des propositions techniquement pratiques (car celles-ci exigeraient encore des principes empiriques), mais seulement des propositions moralement pratiques, il faut s’étonner que M. Garve n’ait pas recouru au concept de la liberté, pour sauver du moins la possibilité de cette sorte d’impératifs.