Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/548

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

porter ainsi celle-ci danr celles-là, n’expliquait suffisamment un pareil phénomène.

Cette façon de comprendre dans la polémique le principe moral dont il s’agit plus haut est suivie d’une assertion dogmatique du contraire. M. Grave conclut en effet analytiquement de cette manière : « Dans l'ordre des concepts, la perception et la distinction des états, au moyen desquels on donne la préférence à l’un sur les autres, doit précéder le choix de l'un d’entre eux, et par conséquent la prédétermination d’un certain but. Or un état qu’un être, doué de la conscience de lui-même et de son état, préfère à d’autres manières d’être ; quand cet état est présent et qu’il est perçu par lui, est un bon état, et une série de bons états de ce genre est ce concept général qu’exprime le mot bonheur. » Plus loin : « Une loi suppose des motifs, mais des motifs supposent une différence antérieurement perçue entre un état pire et un état meilleur. Cette différence perçue est l’élément du concept du bonheur, etc. » Plus loin : « Du bonheur, dans le sens le plus général de ce mot, résultent les motifs de chaque effort, par conséquent aussi de l’accomplissement de la loi morale. Il est nécessaire que je sache d’abord en général qu’il y a quelque chose de bon pour pouvoir demander si l’accomplissement des devoirs moraux rentre sous la rubrique du bien ; il faut que l’homme ait un mobile qui le mette en mouvement, pour qu’on puisse lui fixer un but[1] où tende ce mouvement. »

Cet argument n’est autre chose qu’un jeu d’esprit sur l’équivoque du mot bien[ndt 1] ; car ou il s’agit du bien en soi et absolu, par opposition au mal en soi, ou il s’agit du bien qui n’est jamais que conditionnel. Dans ce cas on compare un bien pire avec un bien meilleur, et l’état résultant du choix du dernier n’est qu’un état comparativement meilleur, mais

  1. Das Gute
  1. C’est justement ce sur quoi j’insiste. Le mobile qu’un homme peut avoir, avant qu’un but lui soit fixé, ne peut évidemment être autre chose que la loi même, au moyen du respect qu’elle inspire (quel que soit le but que l’on puisse avoir, ou que l'on puisse atteindre par l’accomplissement de cette loi). En effet la loi relativement à la forme de la volonté [Das formalen der Wilkühr] est la seule chose qui reste, quand on a mis hors de page la matière de la volonté (le but, comme l’appelle M. Garve).