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rain bien possible dans le monde (lequel n’est autre chose que le bonheur universellement lié dans l’ensemble des choses à la plus pure moralité et proportionné à cette moralité), ce qui, n’étant en notre pouvoir que d’un seul côté et non des deux, force la raison à admettre, au point de vue pratique, la foi en un maître moral du monde et en une vie future. Non que la supposition de ces deux choses donne au concept universel du devoir « de la consistance et de la solidité, » c’est-à-dire un fondement assuré et la force nécessaire à un mobile ; seulement il y trouve un objet qui consiste dans un idéal de la raison pure[1]. En effet, le devoir n’est pas autre chose en soi que la

  1. .Le besoin d’admettre, comme but final de toutes choses, un souverain bien possible dans le monde même par notre concours, n’est pas un besoin qui dérive d’un manque de mobiles moraux, mais d’un manque de rapports extérieurs, d’après lesquels puisse être réalisé, conformément à ces mobiles, un objet comme fin en soi (comme but final moral). En effet, une volonté ne peut jamais être sans but, quoique, lorsqu’il s’agit simplement de la nécessité d’obéir à la loi morale, il en faille faire abstraction, et que la loi seule doive constituer le principe déterminant de la volonté. Mais tout but n’est pas moral (par exemple celui du bonheur personnel), tandis que celui-ci doit être désintéressé ; et le besoin d’un but final fourni par la raison pure et comprenant sous un même principe l’ensemble de toutes les fins (un monde concu comme le souverain bien possible même par notre concours) est un besoin d’une volonté désintéressée, s’étendant de l’observation de la loi formelle à la production d’un objet. — C’est une détermination de la volonté d’une espèce particulière, c’est-à-dire produite par l’idée de l’ensemble de toutes les fins, idée dont le principe est que, si nous étions avec les choses du monde dans de certains rapports moraux, nous obéirions toujours a la loi morale, et à laquelle s’ajoute le devoir de travailler de tout notre pouvoir à réaliser un rapport de ce genre (un monde conforme aux fins morales suprêmes). L’homme se conçoit ici par analogie avec la Divinité, qui, quoique n’ayant besoin subjectivement d’aucune chose extérieure, ne peut être conçue comme se renfermant en elle-même, mais comme déterminée, par la conscience même de son absolue indépendance, a produire hors d’elle le souverain bien ; et cette nécessite (qui dans l’homme est devoir), nous ne pouvons nous la représenter dans l’Être suprême autrement que comme un besoin moral. Chez l’homme, le mobile qui réside dans l’idée du souverain bien possible dans le monde par son concours, n’est donc pas le bonheur personnel qu’il aurait en vue, mais cette idée même comme fin en soi et par conséquent l’accomplissement de cette idée comme devoir ; car elle ne contient pas une vue sur le bonheur pris absolument, mais seulement une proportion entre le bonheur et la dignité du sujet, quel qu’il soit. Or une détermination de la volonté, qui se restreint elle-même à cette condition et y restreint son dessein d’appartenir à un ensemble de ce genre, n’est pas intéressée.