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DE CE PROVERBE :

CELA PEUT ÊTRE BON EN THÉORIE, MAIS NE VAUT RIEN EN PRATIQUE.


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1793.


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On appelle théorie un ensemble même de règles pratiques, lorsque ces règles sont conçues comme des principes ayant une certaine généralité, et que l'on y fait abstraction d'une foule de conditions qui pourtant exercent nécessairement de l'influence sur leur application. Réciproquement on ne donne pas le nom de pratique à toute espèce d'œuvre[1], mais seulement à la poursuite d'un but, quand on le considère comme l'observation de certains principes de conduite conçue d'une manière générale.

Il est évident qu'entre la théorie et la pratique il doit y avoir encore un intermédiaire qui forme le lien et le passage de l'une à l'autre, quelque complète d'ailleurs que puisse être la théorie. En effet, au concept de l'Entendement, qui contient la règle, doit se joindre un acte du Jugement par lequel le praticien discerne si la règle s'applique ou non au cas présent ; et, comme on ne saurait toujours fournir au Jugement des règles qui lui servent à se diriger dans ses subsomptions (puisque cela irait à l'infini), on conçoit qu'il y ait des théoriciens qui ne puissent jamais devenir praticiens de leur vie, parce qu'ils manquent de Jugement : par exemple des médecins ou des jurisconsultes, qui ont fait d'excellentes études, mais qui, lorsqu'ils ont à donner un conseil, ne savent comment s'y prendre. — En revanche, chez ceux qui possèdent ce don de la nature, il peut y avoir défaut de prémisses, c'est-à-dire que la théorie peut être incomplète, car peut-être a-t-elle besoin, pour être complétée, d'essais et d'expériences qui restent encore à faire ; c'est de là que le médecin

  1. Handthierung.