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dition absolue de la politique même. La divinité tutélaire de la morale[ndt 1] ne le cède pas à Jupiter (le dieu de la puissance), car celui-ci est lui-même soumis au destin ; c’est-à-dire que la raison n’est pas assez éclairée pour embrasser toute la série des causes déterminantes dont la connaissance la mettrait en état de prévoir avec certitude les suites heureuses ou malheureuses que le mécanisme de la nature fera résulter des actions humaines (quoique nous les connaissions assez pour espérer qu’elles seront conformes à nos vœux). Mais ce que nous avons à faire pour rester dans le sentier du devoir (conformément aux règles de la sagesse), c’est sur quoi elle ne manque jamais de nous fournir les lumières nécessaires, et par là elle nous montre clairement notre but final.

Or l’homme pratique (pour qui la morale n’est qu’une simple théorie) repousse cruellement notre généreuse espérance (tout en convenant du devoir et du pouvoir que nous avons de le remplir) ; telle est, selon lui, la nature de l’homme qu’elle ne voudra jamais ce qui est nécessaire pour atteindre le but de la paix perpétuelle. — Sans doute il ne suffit pas, pour atteindre ce but, que tous les hommes individuellement veuillent vivre, d’après des principes de liberté, dans une constitution légale (qu’il y ait unité distributive de la volonté de tous) ; il faut que tous ensemble veuillent cet état (qu’il y ait unité collective de la volonté générale). Telle est la condition qu’exige la solution du difficile problème de l’établissement d’une société civile entre les hommes ; et, comme, outre cette diversité des volontés particulières de tous, il est nécessaire d’admettre une cause capable de les réunir toutes pour en tirer une volonté commune, ce qu’aucune d’elles ne peut faire, on ne saurait espérer, quant à l’exécution de cette idée (dans la pratique), que l’état juridique commençât autrement que par la force, sur laquelle se fonde ensuite le droit public ; et par conséquent il faut s’attendre d’avance à voir l’expérience réelle s’écarter beaucoup de cette idée (car on ne peut guère espérer que le législateur aura assez de moralité pour laisser à un peuple qu’il aura formé d’une sauvage multitude, le soin de fonder sur la volonté générale une constitution juridique).

  1. Der Grenzgott der Moral.