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diaire d’un autre, et que par conséquent il puisse aliéner, avec ou sans la réserve de certains droits ; ou bien n’est-il pas plutôt simplement un usage de ses facultés (opera) qu’il peut concéder[1] (concedere) à d’autres, mais jamais aliéner (alienare) ? En outre, l’éditeur conduit-il son affaire en son nom, ou une affaire étrangère au nom d’un autre ?

Dans un livre considéré comme un écrit, l’auteur parle à son lecteur, et celui qui a imprimé cet écrit parle, dans l’exemplaire qu’il en donne, non pour lui-même, mais uniquement au nom de l’auteur. Il produit l’auteur devant le public et n’est que l’intermédiaire qui transmet son discours. Quiconque possède un exemplaire de ce discours, soit manuscrit, soit imprimé, peut s’en servir pour lui-même ou en faire commerce ; c’est une affaire que tout propriétaire d’un exemplaire peut faire en son propre nom et à son gré. Mais faire parler quelqu’un publiquement, produire son discours, comme tel, en public, c’est-à-dire parler en son nom et en quelque sorte dire au public : « Un écrivain vous communique littéralement ceci ou cela par mon intermédiaire, etc. Je ne suis responsable de rien, pas même de la liberté qu’il prend de s’adresser au public par mon intermédiaire ; je ne suis que l’organe dont il se sert pour arriver jusqu’à vous ; » c’est là sans aucun doute une affaire dont on ne peut se charger (comme éditeur) qu’au nom d’un autre, jamais en son propre nom. L’éditeur procure bien en son nom l’instrument muet qui sert à transmettre au public le discours d’un auteur[2] ; mais produire en public ce discours par le moyen de l’impression, et par conséquent se donner pour celui par lequel l’auteur parle au public, c’est ce qu’on ne peut faire qu’au nom d’autrui.

Le second point de la mineure, c’est que non-seulement le

  1. Verwilligen.
  2. Un livre est un instrument qui sert à transmettre au public un discours, et non pas simplement des pensées, comme par exemple un tableau, qui est la représentation symbolique de quelque idée ou de quelque événement. Le point le plus essentiel ici consiste en ce que ce n’est pas une chose qui est transmise par ce moyen, mais une œuvre, opera, c’est-à-dire un discours, et cela littéralement. Par cela même que c’est un instrument muet, je le distingue de ce qui transmet le discours au moyen du son, comme par exemple un porte-voix, ou même la bouche d’un autre.