Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xxvii
DE LA DOCTRINE DU DROIT.


tracté du refus ultérieur de le remplir. Autrement il n’y aurait plus de droit ; car ce serait comme si cette personne me disait en même temps, sans laisser aucun intervalle entre ces deux déclarations de sa volonté : « Je veux et ne veux pas que cette chose l’appartienne, » ce qui est contradictoire. 11 en est de même enfin à l’égard de la possession juridique d’une personne, d’une femme, d’un enfant, d’un serviteur ; le droit est ici, comme dans les cas précédents, indépendant des circonstances accidentelles d’espace ou de temps (1)[1].

Nécessité de l’état civil.

On a vu dans quel sens on peut avoir quelque chose d’extérieur à titre de sien 2[2] et sur quel principe repose la légitimité du mien et du tien extérieurs. Il faut ajouter que ce mode de possession ne peut être réalisé que dans une société régie par un pouvoir législatif public, c’est-à-dire dans l’état civil. En effet, en l’absence de tout pouvoir de ce genre, quelle garantie aurait ma possession particulière contre les prétentions d’autrui ; et, si je n’ai point cette garantie, pourquoi respecterais-je à mon tour ce qu’autrui nommerait sien ? On ne peut m’imposer l’obligation de m’abstenir de ce que les autres déclarent leur appartenir, si l’on n’impose aussi aux autres l’obligation de s’abstenir à leur tour de ce qui est mien. Il faut ici quel’obligation soit réciproque ; autrement elle n’est plus. Or il n’y a qu’un pouvoir public, s’exerçant au nom de la volonté de tous, qui soit capable de garantir cette réciprocité, et par conséquent de maintenir l’obligation elle-même, en contraignant

  1. (1) Kant traduit (p. 80) sous la forme d’une antinomie et de sa solution la difficulté que nous venons de le voir soulever et résoudre touchant la possibilité de la possession de quelque chose d’extérieur. La thèse est celle-ci : « Il est possible d’avoir comme sien quelque chose d’extérieur, encore qu’on n’en soit pas en possession, » l’antithèse : * Il n’est pas possible d’avoir comme sien quelque chose d’extérieur, si l’on n’en est pas en possession. » Cette antinomie conduit la raison à distinguer, pour la résoudre, deux sortes de possession, l’une empirique, l’autre purement intelligible ; et la solution consiste tout simplement à montrer, à l’aide de cette distinction, que la contradiction n’est qu’apparente et que les deux propositions sont vraies. — Il rappelle d’ailleurs que la possibilité d’une possession purement intelligible des choses extérieures ne peut que se déduire du postulat de la raison pratique, laquelle, ajoute-t-il, n’a besoin ici d’aucune intuition à priori, mais procède, ainsi que l’y autorise la loi de la liberté, par la seule élimination des conditions empiriques.
  2. (2) Le chapitre que nous analysons en ce moment a pour titre : De la manière d’avoir comme sien quelque chose d’extérieur.