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ANALYSE CRITIQUE


d’autres auront essuyées à son service et qu’elle est priée de réparer, quoique, suivant le droit strict, elle pût rejeter cette demande, sous prétexte qu’ils s’y sont exposés à leurs risques et périls.

Droit de nécessité.

A côté des cas dont il vient d’être question, et où l’on a pour soi l’équité et par conséquent aussi le droit, mais sans être en état d’obtenir satisfaction d’aucun tribunal public, il en est d’autres où, en violant non-seulement l’équité, mais le droit strict, on échappe nécessairement à la juridiction de tout tribunal extérieur. Ce sont ceux où, pour se soustraire lui-même à une mort imminente, un homme ôte la vie à un autre qui ne lui a fait aucun tort, en se fondant sur ce que l’on appelle le droit de nécessité. Il ne s’agit pas ici de ce droit qu’a chacun de repousser et même de tuer un injuste agresseur qui en veut à sa vie, ou du droit de légitime défense : dans ce cas, la modération peut être un acte de vertu, mais elle n’est pas un devoir de droit ; il s’agit du droit qu’on aurait de faire périr, pour se sauver, une personne qui ne se serait rendue coupable d’aucune violence, de celui, par exemple, qu’aurait un naufragé d’arracher à un de ses compagnons d’infortune sa planche de salut pour se sauver lui-même. Quoiqu’on allègue en ce cas un prétendu droit de nécessité, il est certain qu’une telle action serait contraire au droit ; celui-ci, en effet, défend d’exercer aucune violence à l’égard de quiconque ne nous en fait aucune. Mais il est certain aussi que cette action ne pourrait être punie par aucun tribunal. En effet, la peine dont la loi menacerait le coupable ne pouvant être plus grande que la mort, elle serait sans effet : la crainte d’une mort incertaine ne prévaudrait pas sur celle d’une mort imminente. Il n’y a donc pas de loi pénale possible à l’égard d’une action de ce genre (1)[1]. Est-ce à dire qu’elle ne soit pas coupable ? de ce

  1. (1) Je ne vois pas que la loi soit nécessairement désarmée en présence d’un homicide qui n’est pas celui d’un injuste agresseur qu’on fue pour n’être pas tué par lui, mais d’une personne inoffensive qu’on livre à la mort pour se sauver soi-même. Si des crimes tels que ceux que Kant suppose échappent à la loi, n’est-ce pas plutôt à cause de l’impossibilité de les bien constater ? Mais, s’il pouvait être bien établi que quelqu’un a privé de la vie, pour sauver la sienne, une personne qui ne lui faisait aucun mal, la loi ne serait-elle pas parfaitement fondée à le punir ? La raison que Kant donne ici n’est pas suffisante, et elle n’est pas d’ailleurs