Page:Kant - Éléments métaphysiques de la doctrine du droit.djvu/254

Cette page a été validée par deux contributeurs.
52
DOCTRINE DU DROIT.


Il est clair que cette assertion ne doit pas être entendue objectivement, c’est-à-dire selon la prescription de la loi, mais seulement d’une manière subjective, c’est-à-dire selon la sentence qui serait portée en justice. En effet, il ne peut y avoir de loi pénale qui condamne à mort celui qui, dans un naufrage, repousse un de ses compagnons d’infortune de la planche à l’aide de laquelle il s’était sauvé, afin de se sauver lui-même. Car la peine dont la loi menacerait le coupable ne pourrait être plus grande pour lui que la perte de la vie. Or une loi pénale de ce genre n’aurait pas l’effet qu’elle se proposerait : la menace d’un mal encore incertain (de la mort infligée par un arrêt de la justice) ne saurait l’emporter sur la crainte d’un mal certain (celui de se noyer). L’action qui consiste à employer la violence pour se conserver soi-même échappe donc à la punition[1](impunibile), quoiqu’on ne puisse la regarder comme non coupable[2] (inculpabile) ; et c’est par une étrange confusion que les juristes prennent cette impunité subjective pour une impunité objective (pour une chose légitime).

« Nécessité n’a pas de loi (necessitas non habet legem) » : telle est la maxime du droit de nécessité ; et pourtant il ne peut y avoir de nécessité qui rende légitime ce qui est injuste.

On voit que, dans les deux sortes de jugements en matière de droit que nous venons d’indiquer (dans ceux qui se rapportent au droit d’équité et au droit de nécessité), l’équivoque[3] (æquivocatio) vient de ce que

  1. Unstrafbar.
  2. Unstraeflich.
  3. Doppelsinnigkeit.