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DOCTRINE DU DROIT.


pourtant étendit ce principe à toute la nature matérielle. Les chimistes vont encore plus loin ; et, tout en fondant sur l’expérience seule les lois les plus générales de la composition et de la décomposition des matières par leurs propres forces, ils ont une telle confiance dans l’universalité et la nécessité de ces lois, qu’ils n’ont pas peur de découvrir quelque erreur dans les expérimentations qu’ils instituent d’après elles.

Il en est tout autrement des lois morales. Elles n’ont force de lois qu’autant qu’elles peuvent être considérées comme ayant un fondement à priori et comme nécessaires ; même les concepts et les jugements que nous formons sur nous-mêmes et sur ce que nous faisons ou ne faisons pas, n’ont aucun caractère moral lorsqu’ils expriment quelque chose que l’expérience seule peut apprendre ; et, lorsqu’on se laisse aller à ériger en principe moral quelque règle puisée à cette source, on s’expose aux plus grossières et aux plus funestes erreurs.

Si la morale n’était que la doctrine du bonheur, il serait absurde d’invoquer des principes à priori. En effet, quoiqu’il semble que la raison puisse apercevoir avant l’expérience les moyens d’arriver à une jouissance durable des vraies joies de la vie, tout ce que l’on enseigne à priori sur ce sujet est ou tautologique ou tout à fait dépourvu de fondement. Il n’y a que l’expérience qui puisse nous apprendre ce qui nous procure du plaisir. Les penchants de notre nature pour la nourriture, pour le sexe, pour le repos, pour le mouvement et (en ce qui regarde le développement