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ANALYSE CRITIQUE


données expérimentales, sur le plaisir par exemple et les moyens d’y parvenir, choses que l’expérience seule peut nous enseigner ; ses règles n’auront plus rien de nécessairement universel : elles varieront suivant les inclinations particulières de chacun. Or est-ce là le caractère des préceptes de la moralité ? Ne s’imposent-ils pas invariablement à chacun, quels que soient ses penchants ou ses goûts ? C’est qu’ils commandent au nom de la raison même ; là est le fondement de leur valeur universelle. Ils expriment ce qu’elle nous ordonne de faire, quoi qu’il puisse d’ailleurs advenir. La connaissance de cette sorte de lois ne dérive donc pas de l’expérience, c’est-à-dire de l’observation de notre nature sensible en particulier ou en général du cours naturel dés choses ; elle a sa source à priori dans la raison. Qu’à la considération des devoirs que la raison nous prescrit par elle-même, on joigne celle des avantages qui peuvent résulter pour nous de leur observation, ou des inconvénients que nous pourrait causer la conduite contraire, ce peut être un poids de plus dans la balance de nos délibérations ; mais à coup sûr ce n’est pas à cette dernière espèce de motifs que la morale emprunte la valeur de ses préceptes. Si donc elle n’a d’autorité absolue qu’autant qu’elle se fonde sur des principes à priori, la science de ces principes doit avoir un caractère essentiellement rationnel. Telle est la métaphysique des mœurs (1)[1]. Cette science existe naturellement chez tous les hommes, puisque tous conçoivent les lois morales comme des préceptes universels, comme des commandements absolus ; mais elle y reste ordinairement à l’état de connaissance vague et obscure. La tâche du philosophe est de la dégager, de l’éclaircir, de l’élevers à la hauteur d’un système.

Kant ajoute d’ailleurs que, comme il s’agit d’appliquer à l’homme les principes de la morale rationnelle, il faut bien tenir compte aussi de notre nature, que nous ne connaissons que par l’expérience. « On ne peut, dit-il 2[2], fonder la métaphysique des mœurs sur l’anthropologie, mais on peut l’y appliquer. »

  1. (1) Doctrine du droit : Préface, trad. franç., p. 23, et Introduction à la métaphysique des mœurs, » II. De l’idée et de la nécessité d’une métaphysique des mœurs, p. 19-25. — Cf. Fondements de la métaphysique des mœurs et Critique de la raison pratique, aux endroits relevés dans mon Examen de ces deux ouvrages, p. 5, 7, 21, 25, 36, etc.
  2. 2 Trad. franç., p. 23.