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DEUXIÈME SECTION

pour tel ; aussi dit-il de lui-même : pourquoi dites-vous que je suis bon (moi que vous voyez) ? Personne n’est bon (le modèle original du bien) que Dieu seul (que vous ne voyez pas)[1]. Mais d’où tirons-nous le concept de Dieu considéré comme le souverain bien ? De la seule idée que la raison nous propose a priori de la perfection morale et qu’elle unit d’une manière inséparable au concept de volonté libre[2]. L’imitation ne doit jouer aucun rôle en morale ; les exemples ne servent qu’à nous encourager, en mettant hors de doute la possibilité de faire ce que la loi ordonne ; ils rendent visible ce que la règle pratique exprime d’une manière générale ; mais jamais ils ne peuvent nous permettre d’oublier leur véritable original qui réside dans la raison et de nous diriger d’après des exemples.

Si donc il n’y a pas de véritable principe suprême de la moralité qui ne soit uniquement fondé sur la raison pure et indépendant de toute expérience, je crois qu’il n’y a pas même lieu de se demander[3] s’il est bon d’exposer ces concepts d’une manière générale (in abstracto) tels qu’ils existent a priori, avec les principes qui s’y rattachent, en supposant que l’on veuille s’élever à une connaissance qui se distingue de la connaissance vulgaire et que l’on puisse appeler philosophique. Mais de nos jours il est peut-être nécessaire de se poser cette question. En effet, si on allait aux voix sur le point de savoir si l’on doit préférer une connaissance rationnelle, détachée de toute expérience, par conséquent une métaphysique des mœurs, ou bien une philosophie pratique populaire, on devine bien vite de quel côté pencherait la balance.

Sans doute il est très louable de s’abaisser jusqu’à des conceptions populaires, mais il faut que l’on ait

  1. Cf. St Mathieu, XIX, 17.
  2. L’idée même de Dieu, c.-à-d. d’un être absolument bon, suppose l’idée de l’absolue perfection morale.
  3. Parce que la réponse (affirmative) est évidente.