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DEUXIÈME SECTION

nos actions sont conformes au devoir, mais, si l’on examine de plus près le but auquel tendent nos pensées et nos efforts, on rencontre partout le cher Moi qui se montre toujours. C’est à lui que se rapportent nos intentions et non au commandement rigoureux du devoir, qui exigerait bien souvent le renoncement au moi. Sans être l’ennemi de la vertu, pourvu que nous observions avec sang-froid et ne prenions pas pour le bien lui-même le vif désir que nous avons de voir le bien réalisé, nous nous surprendrons (surtout si le progrès de l’âge et l’expérience ont mûri notre jugement et aiguisé noire esprit d’observation) à douter que l’on puisse rencontrer dans le monde une vertu véritable. La seule chose alors qui puisse prévenir la ruine complète de nos idées morales et maintenir dans notre âme le respect de la loi du devoir, c’est d’être clairement convaincus que, quand même jamais aucune action n’aurait jailli de cette source pure, la question n’est pas de savoir ce qui peut bien arriver, mais que la raison commande par elle-même et indépendamment de tous les phénomènes ce qui doit arriver ; ainsi des actions dont le monde n’a peut-être fourni encore aucun exemple, dont la possibilité même peut paraître douteuse à celui qui ramène tout à l’expérience, peuvent être obstinément commandées par la raison : par exemple la loyauté parfaite en amitié n’en serait pas moins exigée de chaque homme s’il n’y avait jamais eu jusqu’ici d’ami loyal, parce que ce devoir, comme devoir en général, antérieurement à toute expérience, est impliqué dans l’idée même d’une raison qui détermine la volonté par des principes a priori.

Ajoutons encore ceci[1] : à moins de refuser au con-

  1. 2e argument: la loi morale est universelle, c’est-à-dire qu’elle est valable non seulement pour l’homme mais encore pour tout être raisonnable : elle est de plus nécessaire, donc il n’est pas possible de