Page:Kant-Fondements de la métaphysique des moeurs, trad. Lachelier, 1904.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
DEUXIÈME SECTION


DEUXIÈME SECTION


PASSAGE DE LA PHILOSOPHIE MORALE POPULAIRE
À LA MÉTAPHYSIQUE DES MŒURS


Bien que nous ayons emprunté jusqu’ici notre conception du devoir à l’usage vulgaire de la raison pratique, il ne faut pas conclure de là que nous l’ayons considérée comme un concept empirique. Bien au contraire, si nous examinons ce que l’expérience nous apprend de la conduite des hommes, nous entendrons bien des personnes se plaindre, et justement nous l’accordons, de ne pas pouvoir citer un seul exemple certain de l’intention d’agir purement par devoir. Car quoique beaucoup d’actions soient conformes à ce que le devoir ordonne, on peut toujours douter qu’elles aient été accomplies vraiment par devoir et qu’elles aient ainsi une valeur morale. Aussi y a-t-il eu de tout temps des philosophes qui ont nié purement et simplement l’existence de cette intention dans les actions humaines et qui ont rapporté tous nos actes à un égoïsme plus ou moins raffiné, sans toutefois révoquer en doute la justesse du concept de la moralité. Bien au contraire, ils déploraient profondément la faiblesse et la corruption de la nature humaine, assez noble d’un côté pour emprunter la règle de sa conduite à une idée aussi digne de respect et, de l’autre, trop faible pour la suivre, de cette nature qui n’use de la raison, dont le rôle est de lui donner des lois, que dans l’intérêt de ses penchants, de manière à les satisfaire, soit isolément, soit (et c’est ce qu’elle peut faire de mieux) en