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PREMIÈRE SECTION


notamment chez celles qui ont la plus grande expérience de l’usage de la raison, si elles sont assez sincères pour l’avouer, un certain degré de Misologie, c’est-à-dire d’aversion pour la raison. En effet, après avoir mis en ligne de compte tous les avanlages qu’elles peuvent tirer, je ne dis pas seulement de l’invention des arts relatifs au luxe vulgaire, mais encore des sciences (qu’elles finissent par considérer comme un luxe de l’entendement), elles découvrent que finalement elles y ont gagné plus de fatigues qu’elles n’ont recueilli de bonheur, et alors, jetant les yeux sur les hommes de condition inférieure, qui se laissent plus volontiers diriger par l’instinct naturel et n’accordent à la raison que peu d’influence sur leur conduite, elles les envient plutôt qu’elles ne les méprisent. Et même, en entendant ces personnes rabaisser et réduire à moins que rien les services si pompeusement vantés que la raison fsl censée nous rendre dans a reenerche du bonheur et du contentement dans la vie, on doit avouer que leur jugement n’enveloppe ni pessimisme ni ingratitude envers la bonté de la Providence. Ces jugements reposent en effet sur l’idée non exprimée que notre existence a une antre fin bien plus noble, que la raison trouve dans celte fin et non dans le bonheur sa véritable destination et que l’homme doit y subordonner le plus souvent, comme à une condition suprême, ses intérêt* particuliers.

En effet, si la raison n’est pas capable de diriger sûrement la volonté dans la recherche de ses objets propres et dans la satisfaction de tous nos besoins (qu’elle multiplie plutôt) ; -s’il esl vrai que l’instinct naturel inné nous eût conduits bien plus sûrement à une telle fin et si la raison nous a été donnée toutefois comme une faculté pratique, c’est-à-dire comme une faculté qui doit avoir de l’action sur la colonie, il faut