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FONDEMENTS DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MŒURS.


duire par son activité d’autres concepts que ceux qui servent seulement à ramener àdes règles les représentations sensibles et à les relier ainsi dans l’unité d’une conscience et, sans l’aide des sens, il ne penserait absolument rien. Au contraire, la raison, en produisant ce que l’on appelle des idées, manifeste une spontanéité si pure que nous pouvons nous élever, avec son aide, bien au-dessus de ce que les sens peuvent nous donner. Sa fonction la plus haute consiste à distinguer l’un de l’autre le monde sensible et le monde intelligible, et à tracer ainsi des limites à l’entendement lui-même 1[1].

C’est pourquoi un être raisonnable doit se considérer, en tant qu’Intelligence (en détournant ses yeux de ses facultés inférieures), comme appartenant non pas au monde sensible mais au monde intelligible ; il peut donc se placera deux points de vue différents pour se considérer lui-même et reconnaître les lois qui président à l’usage de ses facultés et, par suite, à toute sa conduite ; d’un côté, en tant qu’il appartient au monde sensible, il obéit aux lois de la nature (hétéronomie), de l’autre, en tant qu’il appartient au monde intelligible, il obéit à des lois indépendantes de la nature, lois qui ne sont pas fondées sur l’expérience, mais uniquement sur la raison.

Comme être raisonnable et, par suite, appartenant au monde intelligible, l’homme ne peut concevoir la causalité de sa propre volonté que sous l’idée de liberté[2] ;

  1. 1. La fonction essentielle de l’entendement (Verstand) est d’imposer aux phénomènes des règles (catégories). Celle de la raison (Vernunft) est de concevoir des idées dépassant les phénomènes et destinées à ramener ces phénomènes a une unité suprême. Ainsi, je ramené à l’idée d’un moi simple et incorruptible l’ensemble des phénomènes psychologiques, L’idée du Dieu parfait unifie l’ensemble des phénomènes du monde. Kant a montré dans la Critique de ta liaison pure, non pas que ces idées ne correspondaient a aucun objet, mais qu’on ne pouvait, ni atteindre cet objet par une intuition, ni en démontrer la réalité par le raisonnement (voir l’Introduction).
  2. 2. Voilà la démonstration, et la seule qui soit possible, de la liberté