Page:Kant-Critique de la raison pratique, trad. Barni, 1848.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
53
DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MŒURS


lement analytiques. En effet on dirait ici comme là que, qui veut la fin, veut aussi (nécessairement, s’il est raisonnable,) les seuls moyens qui soient en son pouvoir pour y arriver. Mais, hélas ! le concept du bonheur est si indéterminé, que, quoique chacun désire être heureux, personne ne peut dire au juste et de manière conséquente ce qu’il souhaite et veut véritablement. La raison en est que, d’un côté, les éléments qui appartiennent au concept du bonheur sont tous empiriques, c’est-à-dire doivent être dérivés de l’expérience, et que, de l’autre, l’idée du bonheur exprime un tout absolu, un maximum de bien-être pour le présent et pour l’avenir. Or il est impossible qu’un être fini, quelque pénétration et quelque puissance qu’on lui suppose, se fasse un concept déterminé de ce qu’il veut ici véritablement. Veut-il la richesse, que de soucis, d’envie et d’embûches ne pourra-t-il pas attirer sur lui ! Veut-il des connaissances et des lumières, peut-être n’acquierera-t-il plus de pénétration que pour trembler à la vue de maux auxquels il n’aurait pas songe sans cela et qu’il ne peut éviter, ou pour accroître le nombre déjà trop grand de ses désirs, en se créant de nouveaux besoins. Veut-il une longue vie, qui lui assure que ce ne sera pas une longue souffrance ? Veut-il du moins la santé, combien de fois la faiblesse du corps n’a-t-elle pas préservé l’homme d’égarements où l’aurait fait tomber une santé parfaite ? Et ainsi de suite. En un mot, l’homme est incapable de déterminer, d’après quelque principe, avec une entière certitude, ce qui le rendrait véritablement heu-