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DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MŒURS


à poursuivre dans lu cours de la vie, les parents cherchent à faire apprendre beaucoup de choses à leurs enfants ; ils veulent leur donner de l’habileté pour toutes sortes de fins, que ceux-ci n’auront peu-être jamais besoin de se proposer, mais qu’il est possible aussi qu’ils aient à poursuivre : et ce soin est si grand chez eux qu’ils négligent ordinairement de former et de rectifier le jugement de leurs enfants sur la valeur même des choses, qu’ils pourront avoir à se proposer pour fins.

Il y a pourtant une fin qu’on peut admettre comme réelle dans tous les êtres raisonnables (en tant qu’êtres dépendants, et soumis, nomme tels, à des impératifs ̃ ; c’est-à-dire une fin dont la poursuite n’est plus une simple possibilité, mais dont on peut affirmer avec certitude que tous les hommes la poursuivent en vertu d’une nécessité de leur nature ; et cette fin. c’est le bonheur. L’impératif hypothétique, qui exprime la nécessité pratique de l’action comme moyen pour arriver au bonheur, est assertorique. On ne peut le présenter comme nécessaire pour un but incertain et purement possible, mais pour un but qu’on peut supposer avec certitude et a priori dans tous les hommes, parce qu’il est dans leur nature. Or on peut donner le nom de prudence[1] en prenant ce mot dans son sens

  1. Le mot prudence a un double sens : tantôt il désigne l’expérience du monde * (* Weltlagkeit), tantôt la prudence particulière ** (** Privatlagkeit). La première est cette habileté qui fait qu’un homme exerce de l’influence sur les autres et se sert d’eux comme de moyens pour ses propres fins. La seconde est le dessein de concilier toutes ces fins pour en tirer l’avantage personnel le plus