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FONDEMENTS

Aussi n’y aurait-il rien de plus de plus funeste à la moralité que de vouloir la tirer d’exemples. En effet quelque exemple qu’on m’en propose, il faut d’abord que je le juge d’après les principes de la moralité, pour savoir s’il est digne de servir de modèle, et, par conséquent, il ne peut me fournir lui-même le concept de la moralité. Le Juste même de l’Évangile ne peut être reconnu pour tel qu’à la condition d’avoir été comparé à notre idéal de perfection morale ; aussi dit-il de lui-même : « Pourquoi m’appelez-vous bon (moi que vous voyez) ? Nul n’est bon (le type du bien) que Dieu seul (que vous ne voyez pas) *[1] » Mais d’où avons-nous tirée l’idée de Dieu conçu comme souverain bien ? Uniquement de l’idée que la raison nous trace a priori de la perfection morale et lie inséparablement au concept d’une volonté libre. L’imitation est exclue de la morale, et les exemples ne peuvent servir qu’a encourager, en montrant que ce que la loi ordonne est praticable, et en rendant visible **[2] ce que la règle pratique exprime d’une manière générale, mais ils ne peuvent remplacer leur véritable original, qui réside dans la raison, et servir eux-mêmes de règles de conduite.

Si donc il n’y a pas de véritable principe suprême de la moralité qui ne soit indépendant de toute expérience, et qui ne repose uniquement sur la raison pure, je crois qu’il n’est pas nécessaire de demander s’il est bon, lorsqu’on veut donner à-propos la connaissance morale un

  1. Evangile selon saint Marc, chap. x, vers. 18.
  2. ** anschaulich