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MÉTHODOLOGIE DE LA R. PURE PRATIQUE.

mesure du malheur soit comblée, et qu’il ressente la seule douleur qu’un cœur moralement bon puisse ressentir, représentez sa famille, menacée de la dernière misère, le suppliant de céder, et lui-même, dont le cœur, pour être honnête, n’est pas plus fermé au sentiment de la pitié qu’à celui de son propre malheur, réduit à souhaiter de n’avoir jamais vu le jour qui le soumet à une si rude épreuve, mais persévérant dans son honnêteté, sans hésiter, sans chanceler un seul instant : alors mon jeune auditeur pas sera successivement de la simple approbation à l’admiration, de l’admiration à l’étonnement, et enfin à la plus haute vénération, et il souhaitera vivement de ressembler à un tel homme (sans toutefois désirer le même sort). Et pourtant la vertu n’est ici estimée si haut, que parce qu’elle coûte si cher, et non parce qu’elle procure quelque avantage. Toute l’admiration que nous inspire ce caractère et l’effort même que nous pouvons faire pour lui ressembler reposent uniquement sur la pureté du principe moral, laquelle ne peut en quelque sorte sauter aux yeux que si l’on écarte des mobiles de l’action tout ce que les hommes peuvent rapporter au bonheur. Ainsi la moralité a d’autant plus de force sur le cœur humain, qu’on la lui montre plus pure. D’où il suit que, si la loi morale, si l’image de la sainteté et de la vertu doit exercer en général quelque influence sur notre âme, elle ne le peut qu’au tant qu’on nous la présente comme un mobile pur et dégagé de toute considération d’intérêt personnel, car c’est surtout dans le malheur qu’elle montre toute sa