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MÉTHODOLOGIE DE LA R. PURE PRATIQUE.


un vif intérêt, car elle y sent le progrès de son jugement ; et, ce qu’il y a de plus important, on peut espérer que l’habitude de voir et d’estimer la bonne conduite dans toute sa pureté, ou de remarquer au contraire avec peine ou mépris tout ce qui s’en écarte le moins du monde, quoiqu’elle ne soit d’abord qu’un jeu d’esprit où les enfants peuvent rivaliser entre eux, laissera en eux une impression durable d’estime pour le bien et de mépris pour le mal, qui les préparera à vivre honnêtement. Seulement je souhaite qu’on leur épargne ces exemples d’actions prétendues nobles (plus que méritoires), dont nos écrits sentimentaux font tant de bruit, et qu’on rapporte tout au devoir et à la valeur qu’un homme peut et doit se donner à ses propres yeux par la conscience de ne l’avoir point transgressé, car de vaines aspirations vers une perfection inaccessible font des héros de roman, qui, en cherchant une grandeur imaginaire, s’affranchissent de la pratique des devoirs ordinaires de la vie, lesquels leur paraissent alors insignifiants[1].

  1. Il est bon de vanter des actions où brillent des sentiments d’humanité grands, désintéressés, généreux. Mais il faut moins appeler l’attention sur l’exaltation de l’âme, qui est fugitive et passagère, que sur la soumission du cœur au devoir, de laquelle on peut attendre une impression durable, car elle suppose des principes (tandis que l’autre ne suppose qu’une agitation momentanée (Aufwallungen.). Pour peu qu’on s’examine, on trouvera en soi quelque faute dont on s’est rendu coupable à l’endroit du genre humain (ne fût-ce que celle de jouir, grâce à l’inégalité des hommes dans la constitution civile, de certains avantages pour lesquels d’autres doivent supporter des privations), et qui avertit de ne pas mettre l’idée présomptueuse du mérite à la place de la considération du devoir.