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CRITIQUE DE LA RAISON PRATIQUE.

tain état, quand le fait même de cette possession s’accorde avec le souverain bien. On voit dès lors aisément que la seule chose qui nous rende dignes d’un objet[1], c’est la conduite morale, puisque dans le concept du souverain bien elle est la condition du reste (de ce qui se rapporte à l’état de la personne), c’est-à-dire de la participation au bonheur. Or il suit de là qu’il ne faut jamais traiter la morale comme une doctrine du bonheur, c’est-à-dire comme une doctrine qui nous enseignerait à être heureux, car elle ne doit s’occuper que de la condition rationnelle (conditio sine qua non) du bonheur, et non du moyen de l’acquérir. Mais, lorsque la morale (qui n’impose que des devoirs et ne fournit point de règles à des désirs intéressés) a rempli sa tâche, alors seulement ce désir moral de réaliser le souverain bien (d’attirer à nous le règne de Dieu), qui se fonde sur une loi, et qui auparavant ne pouvait être conçu par aucune âme désintéressée, s’éveillant, et la religion lui venant en aide, la doctrine des mœurs peut être appelée aussi une doctrine du bonheur, parce que l’espoir d’obtenir le bonheur ne commence qu’avec la religion.

On peut aussi comprendre par là comment le dernier but de Dieu dans la création du monde ne peut pas être le bonheur des créatures raisonnables, mais le souverain bien, lequel au désir du bonheur, inhérent à ces créatures, ajoute une condition, c’est qu’elles s’en rendent dignes, c’est-à-dire qu’elles aient de la moralité, car telle est la seule mesure d’a-

  1. alle Würdigkeit.