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CRITIQUE DE LA RAISON PRATIQUE.


fait de sa liberté comme le fondement unique et suffisant de cette possibilité, et croyaient n’avoir pas besoin en cela de l’existence de Dieu. Sans doute elles n’avaient pas tort d’établir le principe des mœurs en lui-même, indépendamment de ce postulat, en le déduisant uniquement du rapport de la raison à la volonté, et d’en faire ainsi la condition pratique suprême du souverain bien, mais il ne fallait pas en faire pour cela toute la condition de la possibilité du souverain bien. Les épicuriens avaient pris, il est vrai, pour principe suprême des mœurs un principe entièrement faux, celui du bonheur, et ils avaient donné pour une loi une maxime que chacun peut suivre arbitrairement, suivant son inclination ; mais ils se montrèrent assez conséquents, en abaissant leur concept du souverain bien juste au niveau de leur principe, et en n’espérant point de plus grand bonheur que celui que peut procurer la prudence humaine (à laquelle il faut rattacher la tempérance et la modération), bonheur assez misérable, comme on sait, et variable suivant les circonstances ; je ne parle pas des exceptions que leurs maximes devaient incessamment souffrir et qui les rendaient impropres à servir de lois. Les stoïciens au contraire avaient parfaitement choisi leur principe pratique suprême, en faisant de la vertu la condition du souverain bien, mais, en se représentant le degré de vertu exigé par la loi comme quelque chose de tout à fait accessible en cette vie, non-seulement ils élevèrent, sous le nom de sagesse, la puissance morale de l’homme au-dessus de toutes les limites de notre