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EXAMEN CRITIQUE DE L'ANALYTIQUE


de celui qui consentirait volontiers à mentir, lorsqu’il y trouverait quelque avantage. C’est comme quand le chimiste ajoute de l’alcali à une dissolution de chaux dans de l’esprit de sel ; l’esprit de sel abandonne aussitôt la chaux pour se joindre à l’alcali, et la chaux est précipitée au fond du vase. De même, si l’on montre à un homme, qui d’ailleurs est honnête (ou qui seulement se met par la pensée à la place d’un honnête homme), la loi morale, qui lui fait connaître l’indignité d’un menteur, aussitôt sa raison pratique (dans le jugement qu’elle porte sur ce que celui-ci devait faire) abandonne l’utilité, pour se joindre à ce qui maintient dans l’homme le respect de sa propre personne (à la véracité). Quant à l’utilité, après avoir été séparée de tout ce qui se rattache à la raison (laquelle est toute du côté du devoir), et s’être montrée à part, elle pourra dès lors être pesée par chacun, de manière à se concilier, dans d’autres cas, avec la raison, toutes les fois qu’elle ne sera pas contraire à la loi morale, que la raison n’abandonne jamais, mais qui lui est intimement unie.

Cette distinction entre le principe du bonheur et ce lui de la moralité n’est pas une opposition, et la raison pure pratique ne demande pas qu’on renonce à toute prétention au bonheur, mais seulement que, dès qu’il s’agit de devoir, on ne le prenne point en considération. Ce peut même être, sous un certain rapport, un devoir de songer à son bonheur, car, d’une part, le bonheur (auquel se rapportent l’habileté, la santé, la richesse) donne les moyens de remplir son