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CRITIQUE DE LA RAISON PRATIQUE.

Tel est le véritable mobile de la raison pure pratique ; il n’est autre que la loi morale même, en tant qu’elle nous fait sentir la sublimité de notre propre existence supra-sensible, et que, subjectivement, elle produit dans l’homme, qui a aussi conscience de son existence sensible, et, par conséquent, de sa dépendance par rapport à sa nature pathologique, du respect pour sa haute destination. Sans doute assez d’attraits et d’agréments peuvent s’associer à ce mobile, pour qu’un épicurien raisonnable, réfléchissant sur le plus grand bien de la vie, puisse croire que le parti le plus prudent est de choisir une conduite morale ; il peut même être bon de joindre cette perspective d’une vie heureuse au mobile suprême et déjà suffisant par lui-même de la moralité ; mais il ne faut avoir recours à ce genre de considération, que pour contrebalancer les séductions que le vice ne manque pas d’employer de son côté, et non pour en faire, si peu que ce soit, un véritable mobile de détermination, quand il s’agit de devoir. Car ce ne serait rien moins qu’empoisonner l’intention morale à sa source. La majesté du devoir n’a rien à démêler avec les jouissances de la vie ; elle a sa loi propre, elle a aussi son propre tribunal. On aurait beau secouer ensemble ces deux choses pour les mêler et les présenter comme un remède à l’âme malade, elles se sépareraient bientôt d’elles-mêmes, ou, dans tous les cas, la première cesserait d’agir, et, si la vie physique y gagnait quelque force, la vie morale s’éteindrait sans retour.


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