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DE LA MÉTAPHYSIQUE DES MŒURS


et du bonheur, moins l’homme est véritablement satisfait. De là, chez la plupart de ceux qui se montrent les plus raffinés en matière de jouissances, un certain dégoût de la raison *[1]. En effet, après avoir pesé tous les avantages qu’on peut retirer, je ne dis pas seulement de l’invention des arts de luxe, mais même des sciences (qui ne leur paraissent être en définitive qu’un luxe de l’entendement), ils trouvent en dernière analyse qu’ils se sont donné plus de peine qu’ils n’ont recueilli de bonheur, et ils finissent par sentir plus d’envie que de mépris pour le vulgaire, qui s’abandonne davantage à la direction de l’instinct naturel et n’accorde à la raison que peu d’influence sur sa conduite. Or, loin d’acruser de mécontentement ou d’ingratitude envers la bonté de la cause qui gouverne le monde ceux qui rabaissent si fort et regardent même comme rien les prétendus avantages que la raison peut nous procurer relativement au bonheur de la vie, il faut reconnaître que ce jugement a son principe caché dans cette idée que notre existence a une fin tout autrement noble, que la raison est spécialement destinée à l’accomplissement de cette fin, et non à la poursuite du bonheur, et que l’homme y doit subordonner en grande partir ses fins particulières, comme à une condition suprême.

En effet, si la raison ne suffit pas à diriger sûrement la volonté dans le choix de ses objets et dans la satisfaction de tous nos besoins (qu’elle-même multiplie souvent), s’il faut reconnaître que ce but aurait été beaucoup plus sûrement atteint au moyen d’un in-

  1. * Misologie.
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