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niches à ses collègues. Sa plus grande joie est de cacher les chapeaux des donneurs ou de les réveiller brusquement en leur chatouillant la figure d’un brin de paille habilement dissimulé. Il ne respecte pas les souvenirs les plus sacrés. Hier, on s’était groupé autour d’une espèce de billard anglais ; les joueurs devaient éviter de laisser tomber leur bille dans un trou placé au centre de la planche ; chaque fois qu’un de ses compatriotes manquait son coup, le joyeux compère parcourait le pont en hurlant : « Bravo ! il a fait harakiri… » Ombres des quarante-sept rônines, voilez-vous la face…

Le nouveau Japon est représenté à bord par quelques jeunes gens, fils de daïmios et membres de la Chambre des pairs. Ils cultivent l’anglomanie. Ce sont les gommeux du pays, ceux qu’on appelle les « haïkara », prononciation la plus exacte que les Nippons puissent atteindre des mots anglais « high collars » (hauts cols). Ces types parfaits de la jeunesse progressiste ont fait preuve d’un tact exquis en organisant une poule dont le montant doit revenir à celui qui devinera la date de la prise de Port-Arthur. C’est peut-être très anglais, mais à coup sûr de très mauvais goût sur un bateau international comme le nôtre. Il faut dire, d’ailleurs, à la louange des passagers, que les souscriptions, jusqu’ici, ont brillé par leur absence.