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retrouvent à dîner. Ces derniers se montrent dignes fils des valeureux samouraï ; ils avalent stoïquement et restent à leur poste au prix d’efforts qu’ils n’arrivent pas à dissimuler. À la fin du repas, le capitaine de frégate Takarabé, notre cicérone, porte, dans un anglais incertain, un toast à la santé de l’empereur. L’écho est faible, car la mer est forte, et bientôt les derniers représentants de la race jaune ont disparu.

Le lendemain, 13 juin, escale sans intérêt à Kobé, que nous quittons après quelques heures d’arrêt pour nous engager dans les eaux toujours tranquilles de la Mer Intérieure. Les Japonais, encore un peu déconfits, se risquent sur le pont. Toutes les classes de la société nipponne sont représentées, depuis les nobles de premier rang, alliés à la famille impériale et descendants directs de la déesse Soleil, jusqu’aux reporters faméliques et dépenaillés, fruits secs de quelque université provinciale, qui louchent avec convoitise sur les kodaks perfectionnés des correspondants américains. Voici d’abord le marquis Kouroda, vice-président de la Chambre des pairs, digne représentant de l’aristocratie ancienne, menu et soigné comme une poupée d’étagère, toujours serré dans une redingote impeccable, réservé et silencieux. Tout autre est le vieux vicomte Inouye, l’enfant terrible du bateau. Malgré ses cheveux gris et son masque de bouddha camard, il passe son temps à faire des