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barre, se redresse brutalement vers le nord-est : les visages s’allongent, quelques énergiques « goddam » échappent aux passagers décontenancés et furieux. Adieu le siège de Port-Arthur, la vie tranquille derrière les parapets de tranchées, les descriptions sensationnelles d’assauts, de bombardement et de massacres autour du Gibraltar moscovite. Il faudra faire une longue et pénible chevauchée pour atteindre une armée combattant dans des villages chinois à noms barbares et difficiles à retenir ; le public ne s’intéresse pas à des mouvements de troupes trop fréquents et presque impossibles à suivre sur les cartes. Et les vieux correspondants de se lamenter, de pleurer sur la perte de leur réputation qu’ils ont mis trente ans à établir, d’invectiver contre l’état-major de Tokio qui leur a promis de les envoyer à Port-Arthur et maintenant leur manque de parole.

Je me trouve peut-être le seul à ne pas partager l’indignation générale ; je me réjouis même de notre destination. À mon avis la grosse partie se jouera près de Moukden. Le siège de Port-Arthur est un incident, dramatique et passionnant sans doute, mais d’un intérêt militaire de second ordre. La flotte inactive et la petite armée qui s’y trouvent enfermées ont perdu toute faculté offensive ; leur action se borne à maintenir en face d’elles l’armée assiégeante le plus longtemps possible et ne pourra, quelle qu’elle