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contraire de la fable n’a pas de peine à devenir grosse comme un bœuf…

Un éclair indigné jaillit des prunelles d’Huguette :

— D’abord, je ne comprends pas qui a pu colporter cela et le présenter sous pareil jour. En dernier lieu, il n’y avait plus que la famille à la ferme…

Le sourire de Léonie se fit plus aigu.

— Tiens, le beau René ? Crois-tu qu’il se sera privé de parler ? D’autant qu’il n’y a rien là que de très flatteur pour lui…

L’agacement intime d’Huguette atteignait à son comble.

Elle allait sans doute vertement relever les insinuations de Mme Pranzac ; déjà, elle ouvrait la bouche, quand elle s’arrêta, immobilisée d’étonnement.

En effet, la petite Françoise articulait naïvement :

— Il ne faut pas trop lui garder rancune, à ce pauvre René, s’il a été bavard… Il était si content qu’Huguette eût préféré revenir avec lui…

Elle s’interrompit, saisie par l’expression du regard que sa cousine attachait sur elle.

— Qu’est-ce que tu dis ? s’écria Mlle d’Aureilhan. Moi, j’ai préféré revenir avec René ?

— Mais oui, balbutia la fillette interdite. Tu as donc oublié ?… Tante Stéphanie m’avait chargée d’aller te prévenir qu’il se faisait tard… Très gentiment, René s’est dérangé à ma place ; il est redescendu en annonçant que tu priais que l’on partît sans toi, parce que tu désirais achever de causer avec Honorine, et que, selon ta demande, il t’attendrait pour te ramener ensuite en auto… N’est-ce pas, Antoinette ?

De la tête, l’aînée confirma, cette simple narration.

Huguette n’écoutait plus. L’élan de sa belle-mère l’ayant touchée, l’avant-veille, elle s’était abstenue de lui reprocher un départ trop hâtif, seule cause de tout le mal.

Elle comprenait maintenant que Stéphanie n’avait aucun tort, volontaire ou non, en cet épisode soigneusement machiné par son neveu, et un âpre dégoût la soulevait, une indicible révolte où germait l’envie irraisonnée de se sauver, bien loin, vers quelque terre promise, accessible seulement aux créatures loyales fuyant les basses tentatives et les lâches complots.

Cependant, Mme Pranzac opérait une habile diversion.

— Et qu’ai-je appris ce matin ! lança-t-elle avec un coup d’œil acéré aux Petites Bleues. Nos excellents cousins de Cazères sont fiancés avec les deux charmantes sœurs, Madeleine et Yvonne de Goncelier ?… C’est cette bonne tante Hortense qui doit être contente !

— Enchantée ! répondit précipitamment Françoise, tandis que sa sœur feignait de considérer avec attention une plante grasse qui se dressait auprès d’elle dans une jardinière.

— Ce sera ravissant, cette union des deux frères, avec les deux sœurs ! insista méchamment Léonie. C’est pour bientôt, sans doute ?

— Nous n’en savons rien, répliqua, du ton de quelqu’un décidé à en finir, la Petite Bleue qui n’était pas sotte. Mais un autre mariage se prépare, que je puis vous donner comme très proche…

— Ah ! lequel donc ? questionna vivement Mme Pranzac, curieuse.

Antoinette avait eu le temps de se remettre. Elle renseigna fièrement :

— Celui de notre sœur Romaine et de M. Guillaume Maresquel.

— Déjà ! s’exclama Léonie avec un geste apitoyé. C’était à prévoir ; ils n’ont pas eu la prudence d’attendre… Pour le mo-