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Toutefois, absorbée dans son ordre d’idées, elle s’abstint de discuter et ajouta :

— Ce n’est pas tout, Huguette, nous avons une autre grosse nouvelle à t’annoncer, et, celle-là, je gage que tu ne la connais pas…

— Pas encore, du moins, rectifia Antoinette.

Mlle d’Aureilhan regarda plus attentivement les Petites Bleues.

Il lui avait semblé, à ces dernières phrases, surprendre une légère altération dans leur voix, une imperceptible fêlure qui faussait la claire harmonie de leur timbre cristallin.

Maintenant qu’elle discernait parfaitement leurs traits, elle lisait une détresse dans l’ovale soudain allongé de ces frais visages ronds, dans la pâleur inhabituelle des joues tirées et le cerne des yeux gais.

Une suavité maternelle l’attendrit pour ces petites créatures touchantes de candeur, si désarmées devant la souffrance qui, elle le pressentait, pantelaient intimement de quelque déboire nouveau.

— Quelle nouvelle donc, mes chéries, s’informa-t-elle avec une douceur pénétrante.

Les Petites Bleues échangèrent un second regard. Chacune, tacitement, pressait l’autre : « Parle, toi ! » criaient les limpides prunelles effarées.

Françoise, la plus crâne des deux, se lança :

— As-tu remarqué, Huguette, commença-t-elle, embarrassée, que, avant-hier… enfin, le jour du pique-nique… nos deux cousins de Cazères… Maurice et Luc, tu sais bien ?

— Naturellement, je sais bien ! constata Huguette en souriant.

Les joues de la Petite Bleue s’enflammaient de rougeur brûlante, tandis que son aînée baissait les yeux.

D’un accent à présent plein de véhémence, Françoise continuait :

— Avais-tu remarqué, veux-je dire, qu’ils fussent très empressés auprès de Madeleine et Yvonne de Goncelier, ces jeunes filles de Landes que tante Hortense invite quelque fois et qui étaient au goûter ?

— Non, répliqua Huguette surprise. Eh bien ?

— Eh bien ! il paraît qu’ils se sont fiancés avant-hier, ma chère ! jeta Françoise ne se possédant plus. Maurice avec Madeleine, et Luc avec Yvonne… Les parents pensaient depuis longtemps à ce double mariage… Et nous n’en savions rien !… Nous tenons ces détails de tante Hortense, que nous avons rencontrée ce matin. Elle gardera la femme de Luc auprès d’elle, tandis qu’il sera en mer. De la sorte, elle aura toujours une agréable société. Elle est radieuse !

Antoinette éclatait :

— Il n’y a que nous qui restions seules ! Ah ! nous sommes nées sous une mauvaise étoile !

Rien n’impatientait Huguette comme cette habitude, spéciale aux êtres de mentalité débile, de rejeter sur le destin les erreurs de leur propre faiblesse.

Elle faillit s’insurger encore, démontrer passionnément que l’on est l’artisan de son sort.

Puis, une fois de plus, elle se souvint à temps que ce seraient là des paroles perdues.

Puisqu’elles étaient inaptes, ces fillettes hypnotisées de rêves, à profiter de l’exemple de leur sœur, puisque chaque désenchantement qui les brisait ne leur servait point de leçon et qu’elles se relevaient meurtries, plus ardentes à courir vers une autre chimère, c’est que l’heure de l’âme n’avait pas sonné pour elles.

Hélas ! peut-être comprendraient-elles