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vite même pas à son mariage ? Au contraire, elle nous dissuade d’y aller, sous prétexte qu’il n’y aura pas de noce ! Nous ses sœurs, ses seules proches parentes, c’est un peu fort !… Du reste, écoute ce qu’elle dit à ce sujet :

Amusante d’indignation puérile, la petite sortait une feuille de papier de son sac à main et lisait :

« Surtout, mes chéries, ne vous mettez pas en frais de toilettes et gardez-vous d’écorner pour venir vos pauvre économies… Nous ne pouvons pas nous offrir de cérémonie pompeuse, et le pourrions-nous que nous ne le ferions vraisemblablement point : Notre bonheur n’a pas besoin de ces satisfactions de vanité.

« Notre mariage sera donc humble entre les humbles : une messe basse vite expédiée en un coin de chapelle, à laquelle assisteront seuls nos quatre témoins, choisis parmi les camarades de Guillaume, et, bien entendu, l’excellente Mme Fresnault.

« Vous êtes sûres, pourtant, que ma pensée volera vers vous, mes sœurs aimées, les compagnes à jamais chères de mon ignorante jeunesse, et que mon cœur nourrira un poignant regret : Celui de ne pas voir avec vous à mes côtés, en ce jour lumineux, la Mère si tendre que nous pleurons et qui eût été si heureuse, oh ! combien ! de me bénir, de remettre son enfant aux mains loyales d’un homme tel que mon Guillaume… »

La voix légèrement acerbe de Françoise avait faibli à cette évocation de la mère trop tôt disparue.

D’une organe apaisé, elle acheva :

— C’est très gentil… Tout de même, Romaine aurait dû songer que, nous aussi, nous aurions été heureuses de l’embrasser ce jour-là…

Huguette expliqua doucement :

— Mais, tu vois, ma mignonne, elle te donne la meilleure raison… Il n’y aura pas de fête, ni de plaisirs d’aucune sorte…

Comme beaucoup de ces jeunes ménages qui se fondent à Paris pour soutenir en commun la lutte de l’existence, Guillaume et Romaine s’attelleront au travail dès le lendemain de leur mariage. Dans ces conditions, il est superflu que vous fassiez la dépense du déplacement… De plus, si vous alliez séjourner près d’eux, il leur faudrait vous promener, vous montrer les divers aspects de la grande ville, et ils n’en ont ni le temps, ni les moyens… Soyez donc raisonnables…

Françoise faisait la moue, mal convaincue, incapable de se figurer un mariage sans réjouissances, sans cette charmante trêve aux occupations ordinaires durant laquelle deux jeunes époux devaient, selon elle, s’isoler dans elle ne savait quelle atmosphère idéale.

— La vérité, opina Antoinette mélancolique, c’est que ces jeunes femmes sont toutes les mêmes : Dès qu’elles sont mariées ou près de l’être, il n’y a plus de sœurs, plus de famille, plus personne : rien que le mari qui compte !

— Bah ! cela dépend, railla affectueusement Huguette pour réconforter la tristesse qu’elle devinait sous cette plainte fraternelle. Dans la plupart des ménages, prétend un grand philosophe, « on s’aime trois mois, on se dispute trois ans, on se supporte trente ans ! »

Antoinette hocha la tête d’un air de doute, et Françoise eut un geste de dédain.

Elle ignorait profondément les philosophes qu’elle tenait d’intuition pour des gens fort ennuyeux, — en quoi elle n’avait pas toujours tort, — et celui que citait Huguette insultant à la tendre foi de son petit cœur aimant et neuf, elle avait bien envie de demander de quoi il se mêlait.