Page:Junka - Mademoiselle Nouveau Jeu, paru dans la Revue populaire, Montréal, janvier 1919.pdf/94

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Assise dans la reposante pénombre du grand salon où les volets clos maintenaient une fraîcheur relative, Huguette lisait avidement une lettre que le facteur venait de lui remettre.

C’était la missive hebdomadaire de Guillaume Maresquel, missive arrivée avec deux jours de retard que le sculpteur expliquait par le grand événement changeant la face de sa vie. En effet, il annonçait à Huguette son prochain mariage avec Romaine Saint-Brès.

« La chère petite a été si courageuse, écrivait-il ingénument, elle a rompu de façon si héroïque avec les habitudes de sa jeunesse et les préjugés de son milieu, que je ne me suis pas senti la force de lui imposer la longue épreuve de fiançailles à incertaine échéance…

« Puis, pour être franc, cette épreuve m’épouvantait moi-même.

« Si indulgente et douce qu’eût été pour Romaine la tutelle de Charlotte Fresnault, elle ne nous aurait pas moins séparés.

« Nous n’aurions pas pu courir l’un vers l’autre à toute heure, à ces moments de doute et de peine où l’on a besoin de serrer la main amie, où le cœur gonflé appelle impérieusement l’autre cœur pour s’épancher en lui.

« Tout bien réfléchi, j’ai cru qu’il vaut mieux être deux… S’il survient des mauvais jours, eh bien ! chacun s’appuiera un plus fort sur le bras de son compagnon, et nous passerons. Les périodes difficiles successivement franchies, le succès finira bien par nous sourire.

« En attendant, nous serons vaillants, nous assaisonnerons de chansons et de beaucoup d’affection cette vache enragée qui est, assure-t-on, la meilleure nourriture de la jeunesse.

« Quand je serai triste et que l’avenir me fera peur, Romaine me récitera tendrement les vers exquis de Mme Rostand :

Lorsque tu seras vieux et que je serai vieille.
Lorsque mes cheveux blonds seront des cheveux blancs…

« Alors, oh ! alors, Huguette, si un tel automne nous est donné, le passé sera béni pour nous l’avoir conquis et notre bonheur nous sera plus cher parce que nous l’aurons édifié avec le meilleur de notre âme.

« Cela est du rêve. C’est aussi de l’espérance. La réalité est humble, comme va l’être notre foyer.

« Est-il besoin d’ajouter, chère et incomparable amie de mon enfance, que si étroit qu’il soit, ce foyer, si pauvre même, ta place y sera marquée ?

« Viens t’y asseoir quand la vie te sera trop lourde dans ton grand château sombre, ou simplement que tu auras besoin de sentir à tes côtés deux êtres absolument à toi.

« Romaine va t’écrire — elle adresse en ce moment quelques lignes à ses sœurs pour les informer de la nouvelle, — mais, par un sentiment que tu comprendras, j’ai voulu être le premier à te dire ces choses. »

Huguette essuya deux larmes qui perlaient à ses paupières.

Ah ! le brave garçon ! Les braves amis, comme ils méritaient d’être heureux ! Et, comme ils le seraient, sans aucun doute, car c’est avec des générosités pareilles que l’on dompte la destinée.

Rien ne résiste, — la créature de pensée qu’elle était le croyait fermement, — à l’union haute et sage de la tendresse, du dévouement, soutenus par une énergie raisonnée, et cet avenir que Guillaume n’évoquait qu’en un espoir timide, lui apparais-