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portait Huguette s’arrêta devant le perron.

Des lumières affolées couraient derrière les fenêtres ; par la porte grande ouverte se percevait un tumulte de voix parlant toutes à la fois avec l’incohérence particulière aux bouleversements de cette sorte.

La jeune fille comprit que la tendresse désespérée de son père ne trouvait plus en elle le courage de cette torturante attente, et que tout le personnel sur le pied se disposait à courir à sa recherche.

Elle s’élança vivement à terre ; un cri de joie la salua.

— La voilà ! Hugues, grâce au Ciel, la voilà !

C’était sa belle-mère qui se précipitait au-devant d’elle.

À tout instant, depuis des heures, Stéphanie venait voir sur le perron si la fille de son mari ne reparaissait pas, et au soupir de délivrance qu’elle poussa, il était facile de concevoir quelle avait été son appréhension secrète.

— Vilaine enfant ! Nous a-t-elle assez inquiétés ! Enfin, la voici de retour !

Elle l’embrassait avec une effusion très rare en sa nature de contrainte et d’orgueil, et Huguette, touchée, eut la notion douce que Stéphanie avait réellement souffert, que cette femme froide l’aimait autant qu’elle pouvait l’aimer.

Pour la première fois, peut-être, elle lui rendit son baiser dans un élan d’émotion sincère.

Des bras de sa belle-mère, Huguette passa dans ceux de son père, qui la serra contre lui sans mot dire, avec un trouble plus éloquent que tous les discours.

Mais déjà Stéphanie se reprenait.

— Pour Dieu ! qu’est-il arrivé ? Que signifie pareil retard ?

— Demandez à votre neveu, ma mère, lança Huguette agressive, à ce chauffeur émérite qui m’a imposé la plus remarquable panne et, pour y remédier, n’avait rien trouvé de mieux que de m’offrir d’attendre le jour en sa compagnie, dans une chambre, chez le brave homme qui vient de me ramener sur son âne… Un précieux chevalier, vraiment, que M. René de Lavardens.

La pâleur ambrée du jeune homme prenait des tons verdissants.

Furieuse, sa tante le bouscula :

— Idiot, va !

Il tenta des justifications confuses. Mme d’Aureilhan ne l’écouta point. On connaîtrait les détails plus tard. Pour le moment, après une telle alerte, chacun avait besoin de repos.

Et ayant donné l’ordre d’atteler pour le reconduire chez sa mère, elle le congédia avec une rudesse exempte de ménagements.

Le digne paysan qui venait de ramener Huguette, déclina l’hospitalité du château, et s’en retourna joyeux, nanti des preuves sonnantes de la reconnaissance de M. d’Aureilhan.

De son côté, la jeune fille regagna presque aussitôt sa chambre.

Mais en dépit de l’écrasante fatigue, elle ne dormit pas de longtemps, nerveuse quoi qu’elle en eût, et contrariée à en pleurer…


X


Le surlendemain, Huguette se trouvait seule au château.

Son père était parti le matin, pour un de ces courts et fréquents voyages dont, à présent, elle devinait trop la cause, et Mme d’Aureilhan passait la journée chez sa sœur, décidément souffrante.

Il était deux heures de l’après-midi ; au dehors, une chaleur torride tombait du ciel de feu.