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l’endroit où ils se trouvaient, une salle basse au sol de terre battue, meublée d’une table flanquée de deux bancs et de quelques antiques chaises de paille. Au milieu d’une des parois en fumées, la haute cheminée ouvrait son être noirci, et au fond de la pièce, le lit aux draps de grosse toile que le ménage venait d’abandonner érigeait ses courtines de cotonnade à larges damiers rouges et bleus.

Très au courant des mœurs, René de Lavardens reprit :

— Vous avez une autre chambre à nous prêter, mes amis ?

— Il y a la chambre, répliqua la femme avec une sorte de recueillement. Le monsieur et la dame y seront bien pour attendre…

Elle poussa une porte ; on entrevit dans la pénombre des blancheurs de rideaux et le miroitement de l’armoire en noyer verni contenant les humbles trésors de noces.

Un éclair avait jailli des prunelles d’Huguette.

Elle croyait comprendre maintenant, et une indignation la soulevait.

Elle se dressa de toute sa hauteur, toisant René qui se frottait les mains.

— Du tout ! prononça-t-elle d’un accent souverain. Vous vous trompez, brave femme, monsieur n’est pas mon cousin… Il ne serait donc pas séant que j’attendisse de la sorte plusieurs heures de nuit. Je suis Mlle d’Aureilhan, que vous connaissez peut-être de nom, et voici ce que j’ai décidé. Votre mari va seller son âne sur lequel je monterai, et comme les chemins lui sont certainement familiers il aura l’obligeance de me conduire au château, où mon Père lui remettra une bonne récompense.

Vous voulez bien ? ajouta-t-elle, gracieuse, en s’adressant au paysan. C’est un service que je n’oublierai pas…

— À vos ordres, mademoiselle, acquiesça-t-il avec empressement.

Il enfila sa courte veste de droguet et sortit afin de préparer l’animal.

— Eh bien ! et nous ? demanda René qui ne parvenait pas à dissimuler la contraction de ses traits devant cette conclusion imprévue du plan qu’il avait laborieusement élaboré.

— Votre domestique va venir également, répliqua Huguette glaciale. Mme de Lavardens ne s’étonnera pas que j’aie disposé de ce serviteur pour réparer de mon mieux votre… imprudence. Lui et notre hôte me constitueront une honnête et sûre escorte. Quant à vous, vous êtes libre de nous accompagner.

— Douze kilomètres à pied ! Merci bien ! maugréa-t-il.

Elle ne l’écoutait pas. Lui tournant le dos, elle se mit à causer avec la paysanne, qui s’informait de l’étrange circonstance à laquelle elle devait d’héberger la demoiselle du château d’Aureilhan.

Quelques minutes plus tard, Huguette, confortablement installée sur le dos de l’âne que son maître menait par la bride, reprenait, le cœur allégé, le chemin de la demeure paternelle.

Seule, l’oppressait encore la pensée de l’angoisse mortelle où M. d’Aureilhan était plongé, et il lui tardait follement d’arriver.

Derrière venait René de Lavardens, scandant le pas avec son domestique.

De temps à autre, il jetait par bravade une parole ou un éclat de rire, mais au fond de l’âme, il n’était pas rassuré.

Il se sentait deviné, et une cuisante inquiétude l’envahissait quant aux suites d’une aventure qui menaçait de tourner à sa confusion.

Minuit sonnait aux horloges du château, lorsque l’intrépide petit quadrupède qui