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s’arrêter dans une secousse brusque accompagnée d’une formidable détonation.

— Qu’est-ce qu’il y a ? s’informa-t-elle, tremblante, comprimant de la main les battements de son cœur bousculé par l’alerte.

— Bah ! rien, répliqua René avec indifférence. Je vais regarder du côté du moteur…

Il sauta à terre, et éclairé par le domestique armé d’une lanterne, se pencha pour examiner l’avant de la voiture.

Une minute plus tard, il remontait.

— Je vous l’avais bien dit : il n’y a rien. Continuons notre route.

Il reprit le volant de direction. L’automobile frémit en une sorte de trépidation essoufflée, mais n’avança pas d’une ligne.

— C’est trop fort ! s’écria le jeune homme d’une voix qui ne trahissait point un désappointement excessif, je ne comprends pas ce qu’il peut y avoir de détraqué dans cette satanée machine ! Regardons encore.

Il sauta de nouveau à terre, et cette fois, Huguette le suivit.

Une inspection minutieuse du levier d’embrayage et des différentes parties essentielles, ne révéla quoi que ce fût d’anormal.

Cependant, la voiture ne bougea pas davantage.

— Eh bien ? s’enquit Huguette anxieuse.

— Eh bien ! j’y perds mon latin ! Voyez tout fonctionne à merveille…

Tout à fait profane en matière d’automobile, Huguette était obligée de se contenter des explications qu’il lui fournissait avec abondance dans cet argot de sport d’ailleurs inintelligible aux non-initiés, et elle ne pouvait s’empêcher de se demander si elle devait être bien persuadée de la consternation plutôt bruyante qu’il étalait.

Une sourde terreur la saisit à l’idée qu’un temps incalculable risquait de s’écouler ainsi.

Elle pensa à son père qu’allait supplicier une affreuse inquiétude, et elle se désespéra d’être là, immobilisée dans la nuit opaque, de ne pouvoir rien pour s’évader de cette inexplicable fatalité.

Elle jeta autour d’elle un regard éperdu. Ce n’était pas le domestique qui lui apporterait le moindre secours.

Paysan superstitieux, ce dernier ouvrait de grands yeux effarés, et n’était pas éloigné d’attribuer à quelque sorcellerie la paralysie soudaine d’une machine qui, la minute d’avant volait comme une hirondelle.

D’un cri, elle trahit sa révolte :

— Nous n’allons pourtant pas rester ici jusqu’à demain ?

René écarta les bras d’un geste d’ignorance.

— Quoi ! fit-elle, véhémente, vous ne savez pas ?

Il eut un rire grinçant :

— Bien, nous sommes en panne : Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse !… Après tout, le jour arrive vite en cette saison ; il passera bien à l’aube quelque carriole qui nous recueillera…

— Ah ! non, par exemple ! s’écria Mlle d’Aureilhan comprenant qu’il n’eût pas été fâché de prêter à ce fâcheux incident un caractère compromettant. Si vous croyez que je vais passer la nuit sur le grand chemin !… Gardez cette lanterne tandis que je prends l’autre, ordonna-t-elle en se tournant vers le domestique, et marchez avec moi. Nous finirons toujours par trouver une maison.

Droite, tout son sang-froid recouvré, elle s’éloigna sur la route, accompagnée du domestique. René les suivait en se dandinant.