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Là, le jour, déclinant s’atténuait d’une ombre toujours plus dense à mesure que l’on avançait parmi les feuillages touffus.

Bientôt, ceux-ci se rejoignirent complètement au-dessus de la tête des promeneurs ; le ciel pâli n’apparut plus qu’en lointaines déchirures capricieusement découpées entre les branches : ce fut l’obscurité à peu près absolue.

Oppressée d’une vague inquiétude, Huguette énonça :

— Ce chemin n’est guère rassurant… J’aimais mieux la route… Si nous retournions ?…

— Y songez-vous, contesta René. D’abord, je ne suis pas sûr d’avoir assez de place pour virer. Puis, nous perdrions ainsi le temps que nous avons gagné… Vous êtes comme toutes les femmes, termina-t-il avec un ricanement, malgré votre crânerie, vous avez peur des ténèbres… Prenez patience : nous ne tarderons pas à sortir d’ici…

Huguette se tut, résignée, et dédaignant de relever l’insinuation mordante.

Des minutes encore, l’automobile vola le long du couloir d’ombre qui, en dépit de la réconfortante promesse de René, ne semblait pas près de toucher à sa fin.

Mlle d’Aureilhan avait beau sonder devant elle l’espace impénétrable, elle ne distinguait pas au loin l’ouverture lumineuse qui eût annoncé le retour à l’air libre auquel elle aspirait ardemment.

De temps à autre, elle levait la tête et constatant que le ciel s’assombrissait entre les ramures, elle sentait une pesante appréhension lui étreindre le cœur.

Toutefois la présence du domestique assis sur le siège d’arrière la rassurait confusément.

Sans consentir à raisonner cette impression, elle préférait ne pas être seule, — à pareil lieu et à pareille heure, — avec René de Lavardens…

« L’auto » roulait toujours.

Huguette trouvait le temps interminable.

Enfin, n’y tenant plus, elle interrogea de nouveau :

— Êtes-vous certain d’être dans le bon chemin ?

— Tout à fait certain, répondit René d’un ton péremptoire.

Il souriait. Par bonheur, elle ne vit pas ce sourire qui eût achevé de la troubler, mais persuadée qu’ils s’étaient égarés, elle soupira de fatigue et d’ennui.

Tout à coup, la voiture déboucha en rase campagne.

Ce changement de décor si impatiemment attendu n’apporta pas à Huguette le soulagement qu’elle en espérait.

Tout au contraire, son angoisse intime s’augmenta d’une effrayante sensation d’impuissance et de solitude.

Il faisait nuit, une de ces profondes nuits sans lune où le ciel bleu noir des régions méridionales, diamanté d’innombrables étoiles, semble se rapprocher tellement qu’on le croirait près de venir écraser de ses millions d’astres la terre sur laquelle il ne verse aucune clarté.

Tout autour, c’étaient les ténèbres immenses, à peine trouées dans le lointain par quelques feux isolés piquant l’espace comme des étincelles, — la paix immobile et le silence sans fin de la campagne endormie.

Huguette respirait avec peine : elle étouffait, haletante du poids de cette noire immensité.

Soudain, elle tressauta, réprimant le cri prêt à jaillir de ses lèvres.

L’automobile qui, depuis quelques secondes n’avançait que par saccades, venait de