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Il la jeta à la vue de la jeune fille et attendit qu’elle le questionnât dans une attitude dont la déférence un peu exagérée n’était pas exempte d’un soupçon d’ironie.

Prompte à saisir les nuances, Huguette ne put éviter de remarquer ce quelque chose d’indéfinissable qui caractérisait René en ce moment.

Un pressentiment obscur la traversa.

Elle s’exclama :

— Qu’est-ce que cela signifie ? Où sont les autres ?

— Partis ! répondit laconiquement René.

— Partis ! répéta Huguette au comble de la stupéfaction.

Elle lança au jeune homme un regard perçant tandis qu’une flamme d’un rose intense incendiait ses joues et que ses fins sourcils se fronçaient sous l’effort de la pénétration intérieure.

Cependant, René, devinant l’orage essayait de le conjurer.

— Oui, ma chère Huguette, exposa-t-il d’une voix qui sonnait faux malgré l’application persuasive, nos amis ont dû se retirer. Quant à ma tante et aux cousins Cazères, ils vous ont attendue aussi longtemps que possible ; puis, voyant que la soirée s’avançait et que vous ne paraissiez pas, on a pris le parti de rentrer sans vous, d’autant que vous aviez enjoint de ne pas déranger… C’est pour obéir à ce vœu que votre belle-mère m’a confié le soin de vous ramener. Et voilà ! ajouta-t-il par une allusion maligne au dédain qu’Huguette lui avait précédemment marqué, ce qui prouve à Mlle Nouveau-Jeu qu’il ne faut jamais dire : « Fontaine… ! »

— C’est bien ! partons ! répliqua-t-elle brièvement.

L’air narquois de René exaspérait ses nerfs.

En proie à une irritation qu’elle maîtrisait à grand’peine, elle pensa :

« Il a la figure de quelqu’un qui tient sa revanche. Méfions-nous… »

Elle serra une dernière fois la main d’Honorine qui assistait à cette scène sans la comprendre, et repoussant du geste René, lequel multipliait les galantes prévenances, elle prit place dans l’automobile, particulière à l’être qui sent que de l’inconnu se prépare et qui, de toutes ses fibres, se raidit pour l’affronter…

Triomphant, d’un triomphe qui éclatait malgré lui dans ses prunelles, René s’était assis à côté de Mlle d’Aureilhan après l’avoir enveloppée d’une profusion de couvertures afin de la préserver de la poussière autant que de la fraîcheur du soir, et obéissant à une simple pression, comme un animal docile, la moderne voiture glissa, vertigineuse, sur la route blanche.

— Vous n’avez pas peur, j’espère ? demanda-t-il aimablement.

Elle haussa les épaules, se renfermant la bouche serrée dans une maussaderie voulue.

Néanmoins, au bout d’un instant, interrompant sans façon René qui ne se décourageait pas et parlait pour deux, elle questionna :

— La calèche a-t-elle beaucoup d’avance ?

Il réprima un de ses vilains sourires :

— Pas mal, oui… Mais, si nous ne la rejoignons pas, nous arriverons au château presque en même temps… Du reste, tenez, je vais prendre une traverse qui raccourcit la distance…

Avant qu’elle eût pu approuver ou protester, il imprima un mouvement au volant de direction et l’automobile plongea, s’engagea dans un chemin creux qui s’enfonçait sous des verdures.