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fait demander si vous en avez encore pour longtemps ?

— Est-ce qu’on part déjà ? s’enquit la jeune fille inquiète.

Il eut un singulier sourire.

— Oh ! je ne pense pas, répliqua-t-il toutefois d’un accent qui jouait à merveille la sincérité. Seulement, vous connaissez ma tante : elle aime être exactement renseignée. Que je puisse lui apprendre de façon précise combien de temps vous comptez demeurer ici, c’est, je suppose, tout ce qu’elle désire…

— Soit, sourit Huguette. Dans une demi-heure, trois quart d’heure au plus, j’aurai fini de causer avec cette bonne Honorine. Jusque-là, qu’on ne me dérange pas…

Le vantail retomba et René, enchanté, descendit les deux mains dans ses poches, en sifflant un refrain de chasse.

Comme il ressortait de la ferme, il vit sa tante et Mme de Cazères qui se rapprochaient, suivies de Maurice et Luc causant amicalement avec les Petites Bleues rayonnantes de retenir ainsi l’attention de ces deux beaux officiers.

À vrai dire, les deux beaux officiers étaient pour le moment vêtus de simple flanelle blanche, mais pour les naïves fillettes, ils resplendissaient toujours de l’éclat de leurs galons.

Le groupe s’arrêta dans la grande cour de la ferme, devant les écuries où stationnaient les trois dernières voitures : — l’automobile de René et la coquette charrette de tante Hortense, celles-ci provocantes de modernisme à côté de la vénérable calèche du château.

— Eh bien ! cria de loin Mme d’Aureilhan à son neveu, Huguette se décide-t-elle ? Nous partons.

René pressa le pas.

— Précisément, répondit-il avec une affabilité impassible, Huguette ne se décide point et vous prie de partir sans elle.

— Comment cela ? fit Mme d’Aureilhan étonnée.

Du même accent velouté, il expliqua :

— Voici. Comme Huguette ignore quand il lui sera donné de revoir Honorine, elle préfère épuiser aujourd’hui le sujet d’entretien que vous savez, et, revenue de ses préventions contre mon talent de chauffeur, elle souhaite que je l’attende pour la ramener ensuite en teuf-teuf, tandis que vous prendrez les devants. En somme, elle a raison, car nous vous rattraperons aisément. Ce qui n’empêche que souvent femme varie !

On se mit à rire, et l’explication n’ayant rien que de plausible, chacun s’en contenta.

Escortée de ses fils, Mme de Cazères s’installa dans la charrette qui fila aussitôt au grand trot des deux petits chevaux tarbais, et René de Lavardens aida sa tante à monter en voiture, ainsi que les Petites Bleues, avec un empressement courtois qui dissimulait assez bien la hâte de les voir s’éloigner.

Quelques instants après les deux attelages disparaissaient au tournant de la route dans un tourbillon de poussière, et René, maître du champ de bataille, roula une cigarette, un machiavélique sourire errant sur ses lèvres minces.

Quand elle descendit à son tour, moins d’une demi-heure plus tard, Huguette éprouva une surprise extrême devant la cour silencieuse, vide de la gaie animation de naguère, et déserte des véhicules de tout genre qui l’emplissaient durant l’après-midi.

Seule, stoppait à la porte l’automobile de René de Lavardens qui, appuyé contre la muraille de la ferme, fumait nonchalamment sa cigarette.