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parce qu’on devine que le charme ne s’en retrouvera plus.

Seul, René de Lavardens s’impatientait intérieurement.

Bientôt, il maugréa :

— Ah ! çà, Huguette s’éternise là-bas ! Elle lui fait donc des révélations palpitantes, cette brave Honorine ?.…

— Mon Dieu ! la chère enfant est heureuse d’entendre parler de sa mère par quelqu’un qui l’a intimement approchée, répondit tante Hortense, avec son attirante mansuétude habituelle. C’est bien naturel.

Mme d’Aureilhan tirait sa montre. Elle s’exclama :

— Mais il est près de sept heures ! C’est vrai qu’Huguette s’oublie près de votre fermière, ma chère Hortense !

Et se tournant vers les Petites Bleues, elle ajouta pour la plus jeune, laquelle s’acquittait avec gentillesse des menues commissions dont on la chargeait :

— Françoise, ma mignonne, veux-tu aller prévenir Huguette qu’il se fait tard ? M. d’Aureilhan va être inquiet de ne pas nous voir rentrer pour le dîner, et d’autre part, nous retenons ici tante Hortense qui a besoin de regagner sa maison où l’attend son mari malade…

— Tout de suite, ma tante.

La Petite Bleue se levait ; René de Lavardens l’arrêta d’un mouvement aimable :

— Ne te dérange pas Françoise. J’y vais !

Charmée de cette attention, qui n’était guère dans les autoritaires et protectrices manières du jeune homme à son égard, la petite lui lança un regard de naïve gratitude.

— Oh ! merci, René. Que tu es gentil !

Sans l’écouter, il se dirigeait déjà vers la ferme.

En pénétrant dans le corridor, il avisa une servante qui sortait de la cuisine.

— Où est Mlle d’Aureilhan ? s’informa-t-il.

Par la porte du fond ouverte sur les dépendances, la jeune paysanne désigna l’extrémité des bâtiments.

— Là, dans une chambre, au premier. Mais la maîtresse et la demoiselle ont défendu d’aller les y rejoindre sous aucun prétexte…

— Bon, bon ! fit-il d’un ton rogue. Vaquez à votre besogne, ma fille, et ne vous occupez pas de moi.

Obéissante, elle disparut dans la direction du potager.

Resté seul, René s’avança jusqu’au bout du corridor blanchi à la chaux, jeta un coup d’œil vers l’endroit où se trouvait Huguette pour s’assurer qu’en cette partie de la ferme il était impossible de se rendre compte de ce qui se passait du côté de l’autre façade, et, satisfait de ce rapide examen, gagna l’étalage indiqué.

Là, plusieurs portes faites de trois planches brunes polies par le temps et négligemment poussées dans l’intérieur de chambres nues, laissaient voir des légumes ou des graines amoncelés sur le carreau, ou bien encore des lits en bois fruste, drapés de cretonnes fanées, à grands ramages.

L’une de ces portes était soigneusement close ; on entendait derrière un murmure de voix assourdies. Il y frappa un coup léger.

Ce fut Honorine qui ouvrit. Mais du fond de la pièce s’éleva l’organe mécontent d’Huguette :

— C’est vous, René ? Que voulez-vous ?

Sans se froisser de cet accueil, il répondit d’un air gracieux :

— Pardonnez-moi de vous importuner. C’est ma tante qui m’envoie… Elle vous