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d’un tel insuccès, il ne se résignait pas à admettre qu’une femme pût demeurer insensible à sa désinvolture séductrice.

Aussi s’expliquait-il l’éloignement de Mlle d’Aureilhan par des prétextes ingénieux autant que vulgaires.

L’indifférence qu’Huguette lui marquait n’était qu’une feinte, une ruse agaçante de jeune fille qui ne veut pas s’avouer vaincue. Certes, René lui plaisait, mais elle fût morte plutôt que de le laisser deviner.
Et vous avez le front de me le crier en face, lâche, dit la jeune fille, frémissante d’indignation ? (Chap. x)

La nouvelle de la fin de non-recevoir que Mlle d’Aureilhan opposait à la flatteuse recherche de M. Gontaud, n’avait fait que confirmer ce garçon suffisant dans les hypothèses qu’il offrait comme dédommagement à sa vanité blessée.

Ce ne pouvait être que parce qu’elle l’aimait, lui, René, qu’Huguette déclinait une proposition à ce point avantageuse.

Donc, il fallait en finir, et il se jurait que ce serait sans tarder…

Si Huguette était une de ces coquettes qui ne se rendent que par la force, eh bien, il saurait lui forcer la main…

Il ne fallait qu’une occasion propice.

Or, les occasions, il ne s’agit que de les faire naître.

Et depuis les moqueuses paroles de la jeune fille, un plan obscur germait dans son cerveau.

Tandis qu’il ruminait ces grossiers calculs témoignant d’une absolue incompréhension de la nature délicate et élevée d’Huguette, celle-ci se dirigeait vers l’entrée de la ferme, en compagnie de sa belle-mère et des Petites Bleues, afin, selon l’obligeante indication de tante Hortense, de vaquer à quelques détails de toilette dans une pièce réservée à cet effet, avant de se rendre au lieu choisi pour le goûter.

Comme toutes quatre allaient franchir le seuil, la fermière parut, s’empressant au-devant de ses hôtes.

C’était une femme assez jeune, qui avait dû être très belle et l’était encore, avec son énergique et fier visage de camée qu’encadraient de lourds bandeaux d’ébène, plus noirs et plus lustrés auprès du foulard éclatant de la coiffure locale.

À la vue de Mlle d’Aureilhan, elle joignit les mains dans une naïve extase :

— Jésus, mon Dieu ! Mlle Huguette, n’est-ce pas ?

La jeune fille la regarda, murmurant un « oui » étonné.