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tite fête, remarqua Mme d’Aureilhan en souriant. Il possède, bien sûr, la seule automobile que l’on puisse trouver dans le pays à vingt lieues à la ronde ; c’est de quoi exciter la curiosité et ressentir, même à son insu, cet agréable chatouillement d’amour-propre flatté que procure la propriété d’un objet rare.

Les Petites Bleus ouvraient des yeux béants d’admiration.

Dédaigneuse, Huguette ne répondit point à cette excuse habile qui allait au-devant de sa prévention intime.

Au milieu d’un groupe attentif, et sans doute secrètement envieux, de cette jalousie inévitable qui se déroule sous le masque mondain du sourire, René pérorait.

— Avec ça, mes enfants, je fais du soixante à l’heure sans me fouler.

Il s’interrompit pour se précipiter vers sa tante et ses cousines qu’il aida à descendre de voiture.

— Enfin ! vous voilà ! Je me demandais si vous n’étiez pas restées en chemin avec ces vieux canassons…

— Tiens ! fit Huguette railleuse, voyez- vous ce poseur ! Parce qu’il a un « teuf- teuf » depuis hier, il se croit en droit de mépriser « la plus noble conquête que l’homme ait jamais faite ! »

René eut un sourire machinal qui dissimulait son embarras.

Comme toujours, lorsque Huguette le blaguait, il restait désarçonné, indécis s’il devait se fâcher, et, avec sa noire ignorance, profondément incapable, — sa malicieuse interlocutrice le savait bien, — de riposter par une épigramme sur l’attelage poussif qui ne rappelait en rien « le fier et fougueux animal » superbement décrit par le grand naturaliste auquel Mlle d’Aureilhan empruntait une citation célèbre.

— Je ne vois pas ma sœur, interrompit Stéphanie pour rompre les chiens.

Ma mère à la migraine, répondit René ; je suis venu seul avec mon domestique. Pourquoi donc, ajouta-t-il aimablement, ne m’avez-vous pas accordé le plaisir de vous conduire ? J’aurais été heureux de me mettre à votre disposition…

— Merci bien ! s’exclama Mme d’Aureilhan en riant. Non, tu sais, mon ami, je préfère encore mes vieilles juments ! Ce sont des bêtes de tout repos…

— Le jour où je vous confierai mes os, confirma Huguette en s’avançant vers sa tante et ses cousins de Cazères, j’aurai soin de les numéroter auparavant !

Il lui lança un mauvais regard, retenant avec peine une perfide allusion à Mirliton, que M. d’Aureilhan ne voulait plus laisser mener par sa fille depuis l’équipée que l’on sait.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette aventure, qui avait failli se terminer par sa faute de façon tragique, ne causait aucun remords à René de Lavardens.

Cet esprit incurablement égoïste et superficiel n’avait aucune notion de responsabilité personnelle et ne parvenait à concevoir que ce qui l’intéressait directement.

En apprenant le mortel danger couru par Huguette à la suite de cette « bonne farce » que personne ne soupçonnait, à l’exception peut-être de Mme Pranzac, il avait bien éprouvé un petit frisson.

Mais, comme sa cousine, somme toute, s’en était tirée saine et sauve, l’affreux accident évité par miracle reculait dans sa pensée, et ne gardait guère que les proportions réduites d’un de ces incidents aussi puérils que désagréables dont on bannit volontiers le souvenir.

Pour le moment, René était tout à son vouloir obstiné de venir à bout de la résistance d’Huguette, — résistance qui l’affolait en s’éternisant, car, malgré la leçon