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Luc, son militaire et son marin, comme elle disait avec un naïf orgueil, qu’un long congé rendait pour des mois à la maison familiale.

Depuis qu’ils avaient embrassé leur aventureuse carrière, il n’était pas encore arrivé à cette mère si tendre de les voir ensemble sous son toit. Aussi, elle ne se lassait point de les regarder et elle eût voulu les montrer à tout le pays. Dans ce but, elle ouvrit toute grande son hospitalière demeure, et découvrit les plus ingénieux prétextes pour convier la parenté la plus reculée et les amis les moins intimes à des divertissements variés.

Deux ou trois jours après le départ de Romaine, c’était un pique-nique qui réunissait la jeunesse de la région.

Le lieu choisi à l’instigation de Mme de Cazères était une ferme lui appartenant, — ferme assez éloignée et située dans une admirable partie montueuse de cet Armagnac qui a des paysages d’une si poétique grandeur.

Huguette devait s’y rendre avec sa belle-mère, toutes deux conduites par l’antique calèche du château, qui emmenait en outre Antoinette et Françoise Saint-Brès.

Elles étaient enchantées, les Petites Bleues.

Un peu tristes d’abord de l’absence de leur sœur, elles finirent par se dilater dans la beauté du jour et la gaieté de l’espace ensoleillé ; toute mélancolie déserta leurs jolies âmes puériles et elles gazouillèrent tout le temps du trajet comme une paire de pinsons.

Elles étaient, elles, les oisillons insouciants qui attendent la becquée en pépiant au fond du nid. Elles regardaient toujours vers l’horizon, d’où quelque prince Charmant surgirait bien un jour de prestigieuses brumes roses.

En ce moment, plus que jamais, leur imagination bouillonnait de rêves.

N’y avait-il pas là deux beaux cousins, deux élégants cavaliers qui semblaient être envoyés tout exprès pour faire le bonheur de deux Petites Bleues sans mère ?

Si Antoinette et Françoise eussent osé livrer le tréfonds de leur cœur, — cette insondable caverne d’un cœur de jeune fille que personne ne pénètre, — l’aînée, fidèle à sa première chimère, eût avoué qu’un coquet uniforme de lieutenant de chasseurs l’empêchait de dormir, et la cadette aurait déclaré que rien au monde ne lui paraissait plus beau que la sévère tenue d’un enseigne de vaisseau.

Huguette écoutait babiller ses jeunes cousines placées en face d’elle sur le devant de la voiture, et à les voir rayonnantes de plaisir ingénu, naïvement palpitantes de l’inconnu que cette journée allait peut-être leur révéler, elle enviait presque leur puissance d’illusion.

Elle songeait, s’abandonnant au balancement un peu rude de la calèche, que traînaient deux vieilles juments poussives, lesquelles constituaient toute l’écurie du château.

En admettant qu’elle eût pu goûter quelque distraction à cette gaie réunion champêtre, tout le charme lui en était gâté d’avance par la pensée qu’elle allait s’y trouver en butte aux assiduités de René de Lavardens qui, après l’avoir simplement importunée, lui étaient à présent odieuses.

Ce fut précisément le jeune homme qu’elle aperçut d’abord, comme la voiture pénétrait dans la cour de la ferme.

Il se tenait debout près de l’automobile qui l’avait amené et qu’il étrennait ce jour- là, fournissant avec importante de vaniteuses démonstrations aux personnes arrivées avant lui.

— Mon neveu va être le héros de la pe-