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de la rentrée pour lui permettre de remplir sa mission sans infériorité trop marquée.

De la sorte, Guillaume et Romaine ne vivraient plus loin l’un de l’autre.

Ils ne se marieraient pas tout de suite, ils n’étaient pas assez riches, mais ils se verraient chaque dimanche, et leur attente souriante bâtirait patiemment le futur bonheur.

Elle partit, un soir de commencement d’été qui resplendissait comme une aurore.

L’oisillon qui battait des ailes au bord du nid avait pris sa volée.

À la suite de ce départ, Huguette éprouva un grand vide, une sensation de solitude morale d’autant plus pénible qu’elle n’avait pas, comme naguère, la consolation de précieuses amitiés.

L’intime douceur qui, auparavant, la consolait de tout s’était retirée de sa vie.

Sans explications, sans aucune de ces formules qui servent à excuser les revirements humains, Jean Quéroy restait pour elle l’étranger impénétrable et glacé qui s’était révélé en un jour dont le souvenir lui demeurait sombre autant que celui d’un jour de deuil.

Mais elle croyait comprendre.

Tout en se révoltant contre semblable hypothèse, elle s’expliquait cette défection par la logique des apparences, et celles-ci prenaient à l’examen l’inflexibilité désolantes de certaines certitudes.

Sans doute, le jeune ingénieur avait appris la situation difficile de la maison d’Aureilhan, et il battait en retraite, ne se souciant pas de placer des obstacles dans son existence, de paralyser l’essor d’un avenir qui s’annonçait brillant par l’enchaînement à une famille condamnée à la gêne.

Il ne pouvait pas, se disait Huguette avec amertume, plus clairement prouver qu’il regrettait de s’être trop avancé vis-à-vis d’elle, alors qu’il la supposait une opulente héritière.

Tout en elle protestait contre ce jugement flétrissant, tout ce qu’elle savait de la noblesse d’âme et du haut caractère de Jean Quéroy.

Par malheur, l’évidence se faisait accablante. Et les yeux brûlés de cuisantes larmes qui ne coulaient pas, Mlle d’Aureilhan, saignante de fierté blessée, se reprochait d’avoir pu élever à cet être un piédestal en son cœur.

Quant à M. Gontaud, elle ne le voyait plus. Prudemment, Stéphanie, avait informé le riche usinier qu’Huguette désirait prendre du temps pour réfléchir, et, avec la délicatesse qui lui était propre, il se tenait à l’écart, ne voulant pas, malgré l’ardent émoi de cette attente, peser sur une détermination qu’il sentait devoir être cruelle à la conscience de la jeune fille.

Elle vivait donc dans l’impression, oppressante entre toutes, de cette menace suspendue au-dessus de sa tête, et elle n’avait même pas la ressource, si chère aux créatures de pensée, du recueillement qui apaise, des longs silences d’où germent souvent les inspirations libératrices.

L’été avait ramené les réunions fréquentes, les parties de toutes sortes dont raffole ce Midi remuant et passionné de plaisir ; les dîners succédaient aux excursions et les garden party aux dîners ; une fête n’attendait pas l’autre, et Huguette, intérieurement fourbue, ne s’appartenait plus.

Un élément nouveau vint encore s’ajouter à l’activité quelque peu fiévreuse de ce tourbillon mondain où l’on s’essoufflait à vivre.

Ivre de joie maternelle, la bonne tante Hortense rentra cette année-là en possession provisoire de ses deux fils, Maurice et