Page:Junka - Mademoiselle Nouveau Jeu, paru dans la Revue populaire, Montréal, janvier 1919.pdf/76

Cette page a été validée par deux contributeurs.

nuaient. Personne, n’est coupable de cet état de choses ; forcément, nous nous sommes endettés comme presque tous les châtelains du pays : il fallait bien tenir son rang… Même, je ne veux rien vous cacher ; la situation, pour nous, est arrivée à son degré extrême, nous ne pouvons plus obtenir ni crédit ni délai… Vous vous souvenez que votre père, l’autre jour, est parti pour Auch à l’improviste ? C’était afin d’essayer de retarder les poursuites d’un avoué chargé « d’occuper » contre nous. Il n’y a pas réussi.

La phrase finale tomba, pesante, dans un silence profond.

La tête penchée sur sa poitrine, Huguette s’enfonçait en une songerie triste.

Mais, au bout d’une seconde, la vaillante qu’elle était releva le front.

— Jamais je ne réclamerai ce qui me revient à mon père, dit-elle d’une intonation où le tendresse héroïque se nuançait de sérénité courageuse. Ce qui est à moi est à lui. Grâce à ma modeste fortune, ses derniers jours seront à abri du besoin… Quant à moi, eh bien ! je travaillerai !

À cette solution imprévu, Mme d’Aureilhan se retint pour ne pas invectiver sa belle-fille.

— Laissez-moi donc tranquille ! jeta-t-elle avec son méprisant haussement d’épaules. Travailler, pour une fille de votre naissance, c’est se déclasser. Ne prétendez pas que vous préférez cette déchéance à la destinée éblouissante qui s’ouvre devant vous : vous me feriez douter de votre raison. Puisque vous aimez tant votre père, la seule manière de lui prouver cette affection, c’est de lui assurer une existence large et paisible dans la demeure de ses aïeux… C’est la détermination à laquelle vous vous arrêtez, je n’en doute pas. Consultez votre cœur, ma chère Huguette, il vous certifiera que vous n’en pouvez pas prendre d’autre…

Elle s’était levée, sur cette péroraison habilement radoucie, et, comme la jeune fille ouvrait la bouche pour discuter ou protester, elle lui imposa silence d’un geste aimable autant qu’impérieux :

— Je ne veux rien entendre pour le moment, précisa-t-elle avec un sourire cordial. Prenez tout votre temps pour réfléchir, la nuit porte conseil… et le jour aussi quelque fois… Je vais donc me garder de donner une réponse définitive à M. Gontaud… Bonsoir, ma chère Huguette… Je suis certaine que vous me pardonnerez de vous avoir parlé comme je l’ai fait, parce vous reconnaîtrez que c’est pour votre bien…

Elle sortie, et Huguette restait seule dans son petit salon, passant machinalement la main sur son front où roulait une houle de souffrance…

Quand elle descendit, le lendemain matin, après une longues insomnie, elle n’avait rien de vainqueur, la pauvre Mlle Nouveau-Jeu.

Son teint pâli et ses yeux battus disaient le combat intime soutenu toute la nuit.

C’est que l’épreuve qui lui était imposée rentrait dans la catégorie des conventions auxquelles sa nature se révélait particulièrement rebelle.

Toujours indépendante et droite, elle eut cent fois préféré la pauvreté avoué qui permet, exige même le noble affranchissement du travail.

Avec une vaillance joyeuse, comme jadis pour l’aïeul tant pleuré, elle se fût dépensée sans compter, elle se fût donnée toute à quelque laborieuse tâche, afin de venir en aide aux siens et de ne devoir le pain de la famille qu’à la grandeur d’un effort personnel.

Au lieu qu’elle se heurtait à la borne