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— Si, je l’ai cru, Huguette ! dit-elle d’un ton presque suppliant, j’y ai compté ardemment ! Pensez à la position magnifique qui vous est offerte… Vous serez riche à millions ! C’est un sort que jamais vous ne retrouverez… Et c’est le relèvement de notre maison !

Huguette se leva un peu pâle :

— Si je me laissais déterminer par de semblables considérations, ce serait un odieux marché ! Vous oubliez donc que M. Gontaud est plus âgé que mon père ?

— Eh ! qu’importe ! s’exclama Stéphanie dans un élan sincère. En pareil cas, tout le monde passerait par-dessus la question d’âge… De telles objections s’effacent d’elles-mêmes devant l’importance capitale de la fin… Je vous en conjure, Huguette, réfléchissez !…

Mlle d’Aureilhan marchait vers la porte.

— C’est tout réfléchi ! répondit-elle en sortant.

— En voilà assez, Stéphanie ! prononça à son tour M. d’Aureilhan, qui n’avait pas encore dit un mot. Je vous avais prévenue… Que l’incident soit clos !

✽ ✽

Malgré la défense expresse de M. d’Aureilhan, Stéphanie eut, le soir même, une explication mouvementée avec sa belle-fille.

De prime abord, on pouvait s’étonner d’un tel revirement chez la châtelaine, qui, hier encore, n’avait qu’un désir : marier son neveu avec la fille de son mari.

Cependant, Mme d’Aureilhan restait absolument dans la logique de sa nature.

Cette femme orgueilleuse ne vivait que pour ce but : la grandeur de sa maison.

Le mariage d’Huguette étant étroitement lié à ce terme de tous ses vœux, elle avait élu René de Lavardens comme le seul prétendant susceptible de se passer de dot sonnante et trébuchante, et de se montrer plus tard accommodant sur des comptes quelque peu embrouillés qui, de la sorte, ne sortiraient point de la famille.

Survenait M. Gontaud, dont la situation opulente laissait loin derrière elle celle infiniment plus modeste des Lavardens, et qui, par les libéralités dont il ne manquerait pas de combler sa jeune épouse, redonnerait à la lignée un éclat depuis longtemps évanoui. Mme d’Aureilhan n’hésitait pas.

Elle jetait résolument son neveu par-dessus bord et se ralliait avec armes et bagages à la cause de l’usinier détenteur du prestige éblouissant des millions.

En dépit de la résistance significative d’Huguette, elle se flattait de triompher par des arguments décisifs de ce qu’elle prenait pour une obstination de jeune fille, aux yeux de laquelle le mariage représente un vague idéal romanesque.

C’est pourquoi, lorsque Huguette se fut retirée, après le dîner qui ne fut pas sans contrainte, elle alla la retrouver dans son appartement particulier.

À la vue de sa belle-mère, Mlle d’Aureilhan laissa percer une contrariété.

— Si c’est l’affaire de ce matin qui me vaut l’honneur de votre visite, madame, je vous prie de m’épargner, dit-elle froidement. Je n’entamerai aucune discussion à ce sujet, car ma décision est irrévocable.

— Ma chère enfant, répondit Stéphanie d’un accent péremptoire, veuillez m’écouter. Après, vous ne ferez que ce qu’il vous plaira… Mais je considère comme un devoir absolu de vous éclairer sur la situation, et sur la portée d’un refus dont vous